La Succession, le nouveau roman mélancolique de Jean-Paul Dubois, aurait pu être d’une grande noirceur. C’était sans compter les digressions intelligentes et jouissives d’un auteur subtil qui sait manier avec bonheur les moments de grâce et de fragilité.
Paul Katrakilis ne dit avoir été heureux que quatre ans de sa vie, le temps où il vendait ses talents de joueur de cesta punta ( pelote basque) au Jaï-alaï de Miami. Originaire de Toulouse, il a fui une famille extravagante et une carrière de médecin pour devenir poletari au Pays Basque jusqu’à se faire repérer par un recruteur américain. Son grand-père, Spyridon, médecin de Staline avait fui la Russie avec une lamelle du cerveau du dictateur. Son père, Adrian exerçait la médecine en short ou en slip. Sa mère ne se séparait jamais de son frère Jules, vivant presque un amour incestueux au sein de son foyer. Tous se sont suicidés.
Ces gens-là, incapables de vivre, de supporter leur propre poids sur terre, m’avaient fait, fabriqué, détraqué.
Quatre années de liberté et de vie gourmande à Miami à attraper des pelotes en vol et les projeter contre les murs, à goûter le calme au bord de son vieux bateau, à sauver un chien de la noyade, à apprécier l’insouciance et la joie de vivre de son partenaire de quiniela, Joey Epifanio et à tomber amoureux de la femme de sa vie, Ingvild, une Norvégienne de vingt-six ans son aînée.
À peine arrivé à Miami, Paul avait reçu un message de son père : «Un jour tu finiras par prendre ma succession». L’annonce de son suicide en 1987 oblige Paul à rentrer à Toulouse pour un court séjour puis pour reprendre son cabinet de médecin pendant dix ans lorsque les grèves au Jaï-alaï de Miami le prive de boulot. Lui qui voyait son père comme un bloc massif d’indifférence découvre une part méconnue de son existence.
Nous n’avions jamais discuté science ou technique ni même éthique. Je crois que pour lui, j’étais un pelotari à la con, un gosse qui ne comprenait rien à la vie, une sorte de Peter Pan avec un bras plus long que l’autre qui croyait pouvoir cueillir le monde dans sa barquette d’osier.
Le rôle d’un médecin est de soigner, mais aussi d’écouter et parfois d’accompagner et d’aider ceux qui n’ont plus aucun espoir.
Personne ne nous avait appris à éteindre des vies, à voir s’en aller quelqu’un sur notre injonction. Au contraire. On nous avait enseigné que c’était le privilège des dieux, ce que, fort heureusement, nous n’avions jamais été.
Les années toulousaines emportent Paul loin de la légèreté de Miami. Avec le souvenir d’Ingvild, la perte de Watson, l’éloignement de Joey et surtout le poids d’une lourde succession, Paul perd le sourire basque.
Peut-on vraiment choisir sa vie et échapper à la malédiction d’une famille, qui, comme celle des Hemingway se trouve placée sous le double signe de la médecine et du malheur ?
Avec constance Jean-Paul Dubois reprend ses thèmes récurrents : la maison familiale, l’amour des chiens, le suicide et même le prénom du héros, ou plutôt de l’anti-héros, toujours né à Toulouse et attiré par les Etats-Unis. La Succession est un roman mélancolique où le narrateur désabusé semble subir son triste destin. Centré sur le thème grave de la fin de vie, le récit aurait pu être d’une grande noirceur, mais l’auteur sait y glisser des digressions intelligentes et jouissives, des moments de grâce, de fragilité. Quel plaisir d’écouter l’histoire du dernier quagga ( une espèce de zèbre dont le dernier spécimen s’est éteint dans un zoo d’Amsterdam en 1883), de repenser à Laïka, la chienne, premier être vivant à avoir été mise en orbite autour de la Terre par les Russes. Comment ne pas vibrer sur les moments fragiles de rencontre entre Paul et Watson, le chien ou les retrouvailles avec Ingvild ?
C’est cela le monde de Jean-Paul Dubois, une tranche de vie mélancolique d’un Paul un peu dépressif soumis au poids familial et aux pertes inévitables de la vie, mais aussi à la beauté d’instants de grâce avec la nature, les animaux et d’anecdotes riches qui éclairent le récit d’un éclat de tendresse.
La Succession de Jean-Paul Dubois, Editions de l’Olivier, août 2016, 240 pages, prix : 19 euros
Jean-Paul Dubois est né en 1950 à Toulouse. Après des études de sociologie, il devient journaliste. Auteur d’une quinzaine de romans, il a reçu le Prix Femina et le Prix du Roman Fnac en 2004 pour Une vie française. Plusieurs de ses romans ont été portés à l’écran ( Kennedy et moi, Vous plaisantez Monsieur Tanner, Le cas Sneijer) dont tout récemment Le fils de Jean, adaptation de Si ce livre pouvait me rapprocher de toi (1999).
Livres Hebdo publie, dans son numéro 1098 du vendredi 23 septembre 2016, le palmarès qui, chaque année, présente dans la rentrée littéraire les romans préférés des libraires.
300 professionnels interrogés ont désigné en tête de leurs choix :
Écoutez nos défaites de Laurent Gaudé (Actes Sud) en littérature française et Les bottes suédoises d’Henning Mankell (Seuil) en littérature étrangère.
Ils ont aussi particulièrement apprécié, en fiction française : Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby (Actes Sud), classé 2e, Petit pays de Gaël Faye (Grasset), 3e, La succession de Jean-Paul Dubois (L’Olivier), 4e, et Le grand jeu de Céline Minard (Rivages), qui arrive en 5e position.
Chez les étrangers, outre le roman d’Henning Mankell, ils ont distingué Station Eleven d’Emily St. John Mandel (Rivages), 2e, Sur cette terre comme au ciel de Davide Enia (Albin Michel), 3e, The girls premier roman de la jeune Emma Cline (Quai Voltaire), 4e, ou encore Judas d’Amos Oz (Gallimard) qui se place sur la 5e marche des fictions étrangères préférées des libraires.