Formé aux arts du cirque, Johann Le Guillerm aime explorer des formes qui ouvrent le champ des possibles et jouent avec les points de vue, à la frontière du cirque, des installations plastiques et du théâtre d’objets. Du 4 au 13 juillet, son Aplanatarium, observatoire d’objets planants, sera présent à l’Opéra de Rennes. Une recherche autour du mouvement, où le spectateur jouera un rôle prépondérant.
Dès dimanche, les visiteurs de l’Opéra de Rennes pourront apercevoir une drôle de structure, aussi originale que ludique, et au nom tout droit sorti d’un univers parallèle : l’Aplanatarium. « Observatoire d’objets planants » selon son créateur, Johann Le Guillerm, il consiste en une tulle en forme de tube de quinze mètres de haut et trois mètres de diamètre, dans laquelle tombent de petits objets aux formes et matériaux divers, les aplanants. Remontés par des plateaux mécaniques actionnés par des poulies, ils reprennent perpétuellement leur chute, formant comme une réserve de mouvements naturels, à l’image des feuilles qui tombent, de l’eau en cascade ou des akènes à l’automne. Le mouvement, une thématique phare du travail de Johann Le Guillerm. « Le mouvement est la marque de la vie : ce qui bouge est vivant, ce qui ne bouge pas est mort », explique l’artiste. « Mais je considère également la nature morte comme vivante : par exemple, si l’on observe l’évolution des continents, on s’aperçoit que la terre bouge aussi. »
Un « praticien de l’espace des points de vue »
Issu de la première promotion du Centre national des arts du cirque et co-fondateur de l’association Cirque ici en 1994, Johann Le Guillerm a choisi la voie des arts du cirque pour « acquérir un savoir-faire, une forme de connaissance, quelque chose que je ne pourrais pas perdre », explique-t-il. Une façon aussi de voyager plus facilement, de se confronter au monde, ce qui lui tenait à cœur. Il a d’ailleurs effectué un tour du monde entre fin 1999 et début 2001, pour « déstabiliser ses repères et se défaire de ses a priori culturels. » De cette expérience, il a retiré « la diversité des possibles, des manières de faire différentes propres à chaque culture », qu’il essaie de retranscrire dans son travail. « Quand j’entame un chantier, j’essaie de développer différentes possibilités autour de la matière », explique-t-il. « Cela me permet d’avoir une matière maximale afin de travailler l’espace des points de vue. »
Car en effet, Johann Le Guillerm refuse le qualificatif de « circassien » traditionnellement employé pour désigner les artistes de cirque, préférant se définir comme un « praticien de l’espace des points de vue ». Késaco ? « Je définis le cirque comme espace des points de vue dédié à l’ensemble des pratiques dites minoritaires, c’est-à-dire un espace où le point de vue est au centre du spectacle », explique l’artiste. « La piste est un espace circulaire où le spectateur est installé tout autour. À l’instar de la sculpture, il faut être attentif à ce qui se passe devant, derrière, sur les côtés, car les points de vue sont multiples. A contrario, au théâtre ou en peinture, le spectateur n’a accès qu’à un point de vue unique, celui du devant. Comme le cirque se pratique souvent au théâtre, beaucoup de circassiens ne se sont jamais confrontés à l’espace des points de vue. C’est pour cela que je ne me définis pas comme tel. »
je définis le cirque comme […] UN ESPACE Où le point de vue est au centre du spectacle.
Johann Le Guillerm
Déconstruire le réel pour mieux le reconstruire
Lui s’y confronte à travers son grand projet, Attraction, la « cartographie originale d’une planète sans lieu ». Le projet naît il y a tout juste vingt ans, lorsque l’artiste décide de développer un « observatoire autour du minimal » pour « faire le point sur [ses] croyances et connaissances, pour [se] situer dans ce monde ». « Je voulais d’abord faire un inventaire du monde, en partant de mon propre point de vue et pas de connaissances établies », détaille-t-il. « Mais il m’est vite apparu que cela allait être compliqué, donc j’ai changé de direction. » Il décide de se recentrer sur le minimal, car « nous retrouvons ce minimal dans n’importe quelle chose complexe. C’est de cette façon que j’ai développé une observation autour du point. » En effet, qu’est-ce qui représente mieux le minimal qu’un point ?
De là se développent de multiples « chantiers » qui lui permettent de parfaire ses connaissances, développant ainsi une culture des points de vue. Aujourd’hui, Johann Le Guillerm cherche à « confronter ses observations au reste du monde ». Attraction se décline en une quinzaine de « Monstrations » réalisées à partir de médiums très divers, comme autant d’éléments d’un monde imaginaire, et dont l’Aplanatarium fait partie. Pour chacune, l’artiste passe par une longue phase d’observation et d’expérimentation des phénomènes naturels en laboratoire, dans une démarche quasi scientifique, mais en utilisant ses propres outils et ses propres analogies. Déconstruire le réel pour mieux le reconstruire, en somme. « Je décortique les choses de mon point de vue pour les réorganiser », affirme-t-il.
Une invitation au « fantasme »
L’Aplanatarium est, de l’aveu même de son créateur, un chantier « assez particulier ». En effet, si c’est bien Johann Le Guillerm qui l’a conçue, l’installation ne prend vie que grâce aux spectateurs, qui fabriquent eux-mêmes les objets planants et les jettent du haut de la tour. Le public devient acteur, ce qui ouvre la voie à ce que l’artiste qualifie de « fantasme » : « Chacun a sa propre idée de ce qu’il doit construire et de la raison pour laquelle il doit le construire de telle manière. C’est là qu’intervient l’idée du fantasme : souvent, l’objet ne plane pas comme on le pensait. Il ne va pas voler deux fois de la même façon, car il va se déformer en tombant. Les objets ont un poids différent, donc ils ne vont pas tous tomber au même rythme : il y a un roulement dans les groupes d’aplanants qui fait que les histoires sont différentes. »
Si Johann Le Guillerm n’est pas un inconnu des Tombées de la Nuit (sa Transumante et sa Grande Transumante étaient au programme du festival en 2017 et 2020), c’est seulement la deuxième fois que l’Aplanatarium sera présenté au grand public. La première fois, c’était au château des Ducs de Bretagne, à Nantes, en 2017. Un cadre totalement différent de celui proposé par l’Opéra de Rennes, mais cela ne déplaît pas à l’artiste. « Au château, l’Aplanatarium était présenté dans une cheminée de six mètres sur six, à côté d’un ascenseur », précise-t-il. « Les points de vue étaient assez limités : les spectateurs pouvaient regarder soit d’en bas, soit depuis quatre ou cinq paliers, sans possibilité d’avoir beaucoup de recul. Cette année, le lieu est beaucoup plus vaste et ouvert : les spectateurs pourront s’installer sur les fauteuils ou monter sur des plateaux. » Ce qui est sûr, c’est que d’où qu’on le regarde, l’Aplanatarium ne manquera pas d’étonner.