Le théâtre Dromesko revient au festival des Tombées de la nuit avec Errance en syllogomanie, exposition habitée qui prend racine dans l’univers plastique de Lily Lavina, la cofondatrice. Du 5 au 9 juillet 2022 sera proposée, au campement de la compagnie à Saint-Jacques-de-la-Lande, une déambulation entre performance artistique et forme théâtrale. Le monde des objets délaissés reprendra vie avec poésie et onirisme.
Le Dur désir de durer, création de 2017, devait être leur dernier spectacle, mais le Théâtre Dromesko se joint à la programmation du festival des Tombées de la Nuit pour la der des der (qui sait ?). Avec Errance en syllogomanie, du 5 au 9 juillet 2022, le public rennais aura la joie de découvrir ce spectacle hybride à la croisée des arts, reflet de l’imagerie de la compagnie. Parce qu’après tout, il ne faudrait pas rentrer dans une case !
Comme le souligne Igor en fin d’interview : « il faut parler d’autre chose pour en parler ». Et effectivement, s’entretenir avec le couple Dromesko (et leur carlin tout doux Rosita) afin de parler de leur carrière et leur dernière création Errance en syllogomanie, c’est un aller simple dans l’esprit naturellement authentique du couple à l’origine de la fondation du théâtre Dromesko. C’est toucher du doigt leur façon de penser l’art, de penser la vie. Lily et Igor créent leurs spectacles comme ils créent leur vie, avec une bonne dose de légèreté et de naturel (toujours), une pincée de poésie, un brin d’onirisme et beaucoup (beaucoup) d’animaux. Mais peut-être est-ce justement la poésie de la vie qui est à l’origine de cette créativité folle ? C’est en tout cas la recette idéale qui forme leur compagnie de théâtre forain.
L’histoire de Lily et Igor débute avec une rencontre à Avignon dans les années 80, la première chantait alors avec un rockeur anglais. Depuis, leurs spectacles s’écrivent au rythme de leur vie. « On ne va jamais chercher tellement loin, ce ne sont que des histoires de vie », dit simplement Lily. Et cette aventure dure depuis plus de trois décennies.
En 1988, ils quittent le théâtre équestre et musical Zingaro (fondé en 1982 par Igor, son frère Branlo et Bartabas), squattent avec leur caravane chez les parents d’Igor près de Paris et font un deuxième bébé. Enceinte, Lily ne développe pas une passion pour les fraises, mais pour les oiseaux donc elle en adopte… beaucoup, jusqu’à en avoir une colonie, « 400 piafs ou quelque chose comme ça ». Un dessin d’Igor plus tard, « il fallait les bien loger », et La Volière de Dromesko naît, signant l’acte de naissance du Théâtre Dromesko en 1990.
Aujourd’hui installée à Henri Fréville, elle cristallise encore l’essence de la compagnie dans sa conception. « Comme tous les animaux qu’on a achetés, ou les enfants qu’on a faits, ça n’a jamais été dans le but de faire un spectacle », précise Lily.
Après La Volière, la caravane Dromesko prend un virage à 360° et décroche des codes du cirque avec La Baraque, cantine musicale (1995). « Hormis le Grand Magic Circus, le cirque Aligre [créé en 1976-77 par Igor, Branlo et Paillette, ndlr.] et La Volière sont à l’origine du Nouveau Cirque. Zingaro aussi à sa façon », explique-t-il avant d’avouer : « J’ai du mal avec les dénominations, Nouveau Cirque, Nouvelle Magie, etc. » Tout sauf s’enfermer dans une case pour le couple. Lily et Igor ont pour ainsi dire ouvert la cage aux oiseaux. « Plus de chevaux, sur une forme rectangulaire, plus d’interactions, de proximité avec le public », énumère-t-elle. « Ça paraissait très simple, mais c’était au contraire très compliqué. »
Prenant place dans leur maison, la cantine musicale interrogeait la poésie au cœur d’un lieu de vie. « Dans La Baraque, la question était de ramener de la tenue tout en étant dans une sorte d’anarchie totale », déclare Lily. Et Igor de poursuivre : « La convivialité est une conséquence, mais c’était juste ne pas imposer la tenue ». L’idée était d’intégrer du spectacle dans un endroit de vie : les filles mangeaient quand le public arrivait, faisaient leur devoir, etc. « C’était un lieu de vie pour nous aussi. C’est quelque chose qu’on ne peut pas fabriquer », enchérit Lily.
« Notre but est de sortir des cases, de ne jamais rentrer dans une case. »
Igor Dromesko
La compagnie déjoue les conventions et les codes qui lissent les représentations dans le but de donner de la liberté au public. De se donner de la liberté aussi. « C’était aux gens de se fabriquer une tenue, une écoute. On les laissait exprès dans le bordel. On jouait deux à trois morceaux de musique tzigane, on s’arrêtait pour fumer une clope, on ne s’occupait plus d’eux. Les gens étaient perdus », s’amuse Igor. « C’est là qu’ils commençaient à créer des liens entre eux. » Dès lors, la compagnie a livré des créations authentiques inclassables où performance, musique, danse et théâtre se rencontrent, sympathisent et s’associent dans un capharnaüm artistique digne de ce nom.
Chaque proposition est une nouvelle forme théâtrale qui attise la curiosité et stimule l’imagination. Chacune prend sa source dans un fait réel avant de tisser la toile d’un spectacle fantaisiste et poétique, sans narration linéaire. « Dromesko allume des petits feux, chacun interprète comme il entend », mentionne Igor. « S’il y a 200 spectateurs, il y aura 200 histoires différentes selon l’état de la personne, l’heure aussi… » Citons Les Voiles écarlates, Le Quai des oubliés, Arrêtez le monde je voudrais descendre, Margot, L’Utopie fatigue les escargots ou encore les plus récentes, Le jour du grand jour (création 2014) et Le dur désir de durer (création 2017). « L’imagerie a toujours été là, ce monde onirique dans lequel on emmène les gens », précise Lily. Igor rajoute : « Le texte n’a jamais eu plus d’importance qu’un morceau de musique ou qu’un danseur ».
Le théâtre Dromesko s’est ancré durant toute sa carrière dans une vérité et n’a pas cherché à créer des concepts pour un spectacle en particulier, notamment avec les animaux. « Une amie qui bosse dans un théâtre m’a parlé d’une compagnie qui avait dans l’idée d’utiliser un cochon pour une pièce, mais elle n’avait pas de cochon. La compagnie voulait contacter un paysan dans chaque ville dans laquelle elle jouait pour qu’on leur ramène un porcelet sauvage, mais ça ne peut pas fonctionner. Ce n’était pas le leur donc logiquement il n’écoute pas et, en plus, il est séparé de sa mère donc ce n’est pas sûr qu’elle l’accepte de nouveau après », se rappelle Lily avant de répliquer : « Ils prenaient l’animal pour un accessoire, mais l’interaction entre l’homme et l’animal ne s’invente pas. C’est un travail du quotidien, le même travail qu’on peut avoir en couple. »
À Dromesko, les chiens ne sont pas dressés, le marabout n’est pas dressé, le poney n’est pas dressé, « le violoncelliste n’est pas dressé et le danseur non plus », rajoute Igor. Tout le monde est sur un pied d’égalité et c’est sur la base d’une connaissance de l’autre et d’une amitié forte que naît chaque spectacle. « C’est là qu’on rejoint l’idée de la poésie. C’est poétique parce que c’est comme raconter de façon absurde des petits poèmes de la vie. »
« Le théâtre, c’est mentir pour dire la vérité. Ce sont des mensonges amoureux. »
Igor Dromesko
Mais leurs spectacles ne cantonnent pas seulement des choses qu’ils aiment. « Ça ne suffit pas à être intéressant », comme le souligne Igor. Construire un nouvel espace à chaque spectacle fait partie de l’ADN de Dromesko. « Le théâtre est le décor. » Avec Errance en syllogomanie, dernier spectacle avant de tirer sa révérence, la compagnie clôture avec, une nouvelle fois, une forme différente des précédentes.
Déjà présent en 2005 aux Tombées de la nuit avec l’opéra loufoque Margot, Dromesko offre cette année une déambulation au cœur d’objets délaissés et de tableaux vivants. Le spectacle prend sa source dans l’univers plastique de Lily, un travail déjà aperçu dans le spectacle Le Dur désir de durer. « J’avais fait une petite installation à la demande du théâtre à Perpignan » précise-t-elle avant de raconter, amusée : « Il y avait une bande-son que j’avais faite sur une précédente expo et une dame du public a dit « c’est aussi insurmontable à regarder qu’à écouter ». J’adore ! »
Toutes les histoires de création, du moins ces deux dernières années, commencent plus ou moins de la même manière. La crise du covid a obligé les artistes à repenser et réinventer leur pratique. Le monde de la culture en stand-by, Lily a pu écouler son matériel qui sert à la création de ses tableaux et a eu la joie de pouvoir en racheter. Atteinte de syllogomanie aiguë depuis son plus jeune âge et de plaisir d’acheter, l’artiste s’est toujours créée des univers, des décors et ne peut s’empêcher d’acquérir de nouveaux objets d’occasion pour leur offrir une seconde vie. « J’ai besoin de me sentir chez moi, d’habiter l’espace », explique l’artiste. Et Igor de répliquer sur le ton de l’humour : « Chez toi pas besoin que ce soit Emmaüs. » Les créations de Dromesko se composent comme un couple, c’est une question d’adaptation.
Telle une buse, quand elle part en quête, Lily a les yeux aiguisés, est sur deux étals en même temps, devant, derrière. Rien n’échappe à son regard d’experte, prête à dégainer le porte-monnaie si l’occasion se présente. « La chasse aux objets, c’est génial, c’est vraiment l’esprit de chasse. Quand je pars aux puces et que je reviens bredouille, il ne faut pas me croiser de la journée. Je suis de mauvaise humeur », confie-t-elle. Son dernier achat ? Des petites mallettes avec des poupées et leurs vêtements à l’intérieur. Et si l’alibi familial d’avoir des petites-filles ne fonctionne pas toujours, elle trouvera toujours une utilité aux objets. Car elle a également été diagnostiquée à un stade avancé de plaisir d’offrir. « Je n’ai pas d’attachement aux objets, je peux facilement les donner et j’aime bien les redistribuer. Les objets sont faits pour circuler. » Son obsession demande certes de l’espace, mais si elle est source de créativité, n’en vaut-elle pas la peine ?
Errance en syllogomanie est une exposition habitée. Il interroge avec onirisme et mélancolie, par le moyen de la déambulation, la seconde vie des objets. De quelle manière peut-on redonner de la poésie avec des images déjà vues ? Le public est immergé dans l’univers de Lily Lavina, mais également dans l’imagerie du théâtre Dromesko. Comme dans chacune de leur création, la dimension théâtrale sera de la partie, mais attention « le texte n’explique pas quelque chose, il n’emmène pas du début à la fin. C’était le cas pour La Volière, ce sera le cas pour Errance, par une approche plus plastique puisqu’on rentre dans les tableaux ».
On y croise les fantômes de Marc Chagall, de Salvador Dali, de James Ensor et du Polonais Tadeusz Kantor. On trouve sans conteste des ressemblances avec l’univers dadaïste du début du XXe siècle, mouvement qui remit en cause les conventions et contraintes idéologiques, esthétiques et politiques de l’époque. Ainsi que du mouvement successeur, le surréalisme, qu’André Breton définit comme « un automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute manière, le fonctionnement de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique du réel ».
Au final, cet article parle beaucoup du Théâtre Dromesko, mais n’était-ce pas le but ? L’originalité et l’excentricité de la compagnie résident peut-être dans leur authenticité, leur naturel. Et pour avoir confirmation, rendez-vous du 5 au 9 juillet 2022 pour une Errance en syllogomanie, au campement Dromesko.
Du 5 au 9 juillet 2022, Errance en syllogomanie, Théâtre Dromesko.
Site des Tombées de la nuit
INFOS PRATIQUES
Campement Dromesko, rue du Haut Bois, Saint-Jacques-de-la-Lande
Mardi 05 Juillet 2022 : de 19:30 à 20:45 et de 21:00 à 22:15
Mercredi 06 Juillet 2022 : de 19:30 à 20:45 et de 21:00 à 22:15
Jeudi 07 Juillet 2022 : de 19:30 à 20:45 ; de 21:00 à 22:15 ; de 22:30 à 23:45
Vendredi 08 Juillet 2022 : de 19:30 à 20:45 ; de 21:00 à 22:15 ; de 22:30 à 23:45
Samedi 09 Juillet 2022 : de 19:30 à 20:45 ; de 21:00 à 22:15 ; de 22:30 à 23:45