La télévision est devenue un conte d’amour et de joie merveilleux… Après les Chti’s à Ibiza, voilà des Marseillais à Cancún, au Mexique (il peut être bon de le préciser pour les fans de l’émission dont le QI ne dépasse pas la moyenne annuelle des températures). Pendant ce temps, les Anges de la téléréalité en sont à leur 5e saison ; Le Petit Journal s’en moquait dans Les Débiles à Cannes en élevant le modèle du vide au niveau d’une soi-disant information critique. La télé-réalité dépasse souvent la fiction. Comment expliquer un tel succès ?
À l’heure où la n-ième saison de Secret Story va envahir les antennes de TF1, la télé-réalité semble avoir trouvé un second souffle. Fini le stérile voyeurisme de la part du spectateur qui observe des stéréotypes enfermés dans un lieu se faire gaver de non-sens à coups de manipulations et de jeux des moins subtiles. Non, maintenant, la scénarisation de ce genre de programme est toute autre. Les stéréotypes restent, mais à un degré extrémisé : bimbo, macho, silicone, botox, muscles, cerveaux….Ah non, stop, surtout pas des cerveaux ! Manquerait plus que ces jeunes stars, persuadés de devenir des stars hollywoodiennes en moins de cinq ans, comprennent dans quel guêpier ils se sont fourrés.
Un Buzz mis en scène
Fini le temps des feuilletons pour adolescents façon AB Production (Miel et les abeilles, Hélène et les garçons) ou Disney Channel et ses histoires à l’eau de rose qui n’en finissent pas tout comme ses couleurs flashy. Désormais, il faut des lieux qui font rêver les ados, ceux des films ou séries à succès : Cancún, Miami, Las Vegas, Los Angeles, etc. Le rêve américain a de beaux restes, et on ne verra pas encore les Alsaciens à Tahiti ou les Basques à la Réunion. En fait, le lieu est un décor ; il n’existe que pour pouvoir dire « on y est ».
Le lieu n’occupe qu’une place secondaire, celle d’un décorum (sa richesse et ses mystères n’ont pas lieu d’être). En fait, tout doit être secondaire. Les personnages aussi. Il ne faut pas que le spectateur s’identifie trop à l’un ou l’autre ou tous, mais que ces derniers produisent et produisent du « buzz ». Bagarres, larmes, alcool, sexe – ça fonctionne toujours. Alors on échafaude des rivalités sur des évènements « énoooooormes ». Imaginez donc : Brenda n’a pas éteint la lumière après être rentré de son casting à Miami et a réveillé Farida et Jimmy ! Et les trois ont réveillé toute la maison avec leur dispute. Belle leçon de savoir-vivre par de grands adultes.
Nouveaux modèles ?
Pourtant, ces disputes anodines montées en épingle par une mise en scène axée sur la répétition et le teasing (la même scène est annoncée 3 épisodes à l’avance et 3 fois par épisode) rappellent les disputes d’adolescents. Toutes ces incompréhensions de génération entre frères et soeurs, voire entre parents et enfants. L’identification se fait ainsi auprès d’un public devenu accro à ces personnages de « série ».
Friends était trop adulte, voilà la relève par le bas. Les critiques diront que ces « décérébrés » deviennent les nouveaux modèles des adolescents qui, dénués de tout idéalisme, générosité et humanisme, ne rêvent que d’apparaître dans une télé-réalité ou un « feuilleton du réel ». Bien sûr, après avoir signé un nouveau contrat de ‘comédien’ (‘prestataire de services’ serait plus adapté), une bonne orgie dans une piscine remplie de champagne en compagnie de staaars et après avoir humilié deux ou trois loosers constitue un horizon existentiel des plus désirables.
La star du moment, Nabilla, revendique ouvertement son rôle de modèle. Les plus habiles, ceux qui ont compris le jeu de ces programmes de téléréalité, arrivent à dissocier leur personnage et à trouver un emploi dans ce secteur du réel intermédiaire. Mais combien ne sont que des jouets jetés en pâture à l’orgie collective. Finalement, cette manipulation à laquelle notre société assiste sans broncher ne constitue-t-elle pas une nouvelle forme de prostitution ?
Valorisation et moqueries
Certes, certains défendent le bénéfice psychosocial d’une telle manipulation télévisuelle. La téléréalité fournit un moyen détourné de valoriser une partie importante de nos concitoyens, ces spectateurs qui n’admettront jamais qu’il sont au même niveau d’immaturité que ces humains désincarnés devenus objets. « Comme je sais comment se prononce le mot ‘thym’ et que ce n’est pas la brebis qui fait la crème alors je me sens intelligent’. C’est possible.
Qui plus est, mis de côté l’aspect formel de ces programmes, le passé fourmille de ces figures de « l’idiot du village », du benêt dont on aime se moquer ? N’a-t-on pas déjà vu des personnages caricaturaux au possible dans les films comiques, des losers en puissance que l’on aime ou que l’on aime détester. La forme a changé, mais le comique de situations factices et grossièrement montées est récurrent. Dernier avatar : « La Belle et ses princes charmants » qui place de pauvres exclus de la drague face à des « beaux gosses » musclés pour conquérir le cœur d’une belle….qui part toujours avec un beau et se fait larguer dans la semaine qui suit. Se moquer de l’autre reste humain trop humain. Et n’a pas fini d’alimenter le robinet à images. Pour le meilleur comme pour le pire.
Didier Ackermann et Nicolas Roberti