« Tous ensemble, bien sûr, mais sans plus. Sans les trop vieux, les trop pauvres, les trop colorés, les trop moches. Les trop autres »
Tous ensemble, mais sans plus vient de paraître aux Editions Anne Carrière. Voilà l’appréciation que l’auteur en personne donne de son nouveau recueil de nouvelles :
« L’idée de ce recueil est simple : on n’a jamais tant parlé, en France, de mixité sociale, d’égalité des chances, de fractures du corpus national. Mais on n’a jamais eu autant envie de se resserrer en petits cercles, entre semblables. J’ai voulu écrire un recueil sur ces fractures sociales, sur ces clivages selon l’âge, le milieu, l’apparence, la couleur, la religion, l’origine.
Mais il ne suffit pas de débarquer sur un sujet d’actualité pour en faire un recueil intéressant. Je ne voulais pas tomber dans la facilité, et me laisser porter par le vent. Je ne voulais pas de beau message moralisant, je ne suis pas un bien-pensant. Je ne voulais pas non plus de brûlot, je ne suis pas un polémiste. J’ai simplement voulu mettre en scène ces fractures, sans chercher à les soigner. J’ai voulu montrer dans un registre parfois grinçant, allant même jusqu’à l’humour le plus noir, parfois cruel, parfois plus souriant. »
Et voilà qu’une fois de plus, Georges Flipo, en quelques nouvelles, parvient à nous réjouir, voire à nous rendre heureux. Heureux de le lire, de retrouver sa plume alerte, mais délicate et son humour caustique souvent au second degré. Et, surtout, l’attachement, la tendresse qu’il porte à ses personnages, comme ans doute à son prochain.
Lire Georges Flipo, c’est s’évader, mais s’évader tout près de chez soi (bien qu’avec le précédent recueil Qui comme Ulysse, nous ayons vraiment voyagé). Les personnages, ça pourrait être vous ou moi, ou votre voisine, votre grand-père ou votre soeur. Ce sont des gens simples, normaux à qui il arrive les choses normales de la vie, de l’amour, du désir, des désillusions, des maladies… Alors bien sûr, ces gens si proches de nous, on s’y attache, on les aime un peu, beaucoup, ils nous font rire ou pleurer, mais jamais ne nous laissent indifférents.
Tout au long des 14 nouvelles de ce recueil, le lecteur croise les grands thèmes de notre époque : mixité sociale et racisme, qui font la une des informations, mais aussi les différences de milieu, les non-dits et le rejet de l’autre dont l’apparence n’est pas la même que la nôtre, du trop vieux ou de la trop romantique, du riche par rapport au pauvre, des branchés et des ringards, des bourgeois et de la classe ouvrière, de ceux atteints d’un handicap….
Ces textes sont pour la plupart drôles, mais portent également à la réflexion. Sous un ton léger, le fond est là. Georges Flipo ne se permet pas de juger, jamais, non, il constate, il témoigne, il partage. Et c’est à nous, lecteur, de faire notre chemin, notre mea culpa parfois et de regarder la réalité en face.
À la fin de la lecture, en plus du plaisir immense de retrouver cet auteur proche des gens et de leurs souffrances, de la vie de tous les jours se pose une question primordiale : sommes-nous donc tous des pingouins ?
– Des pingouins ! Vous êtes comme des pingouins sur la banquise, tous à vous renifler, à lustrer votre plumage… Et vous vous serrez l’un contre l’autre, frissonnants, dès que souffle un vent mauvais… Malheur à l’intrus : vous lui souriez, mais vous le regardez les yeux dans les pieds, à guetter sous ses palmes la moindre fissure de la glace, en espérant qu’elle devienne fracture, béante, qu’elle l’entraîne le plus loin possible, et allez, ciao ! Tous ensemble, bien sûr, mais sans plus. Sans les trop vieux, les trop pauvres, les trop colorés, les trop moches. Sans les trop autres.
– Allons, mon ami, ce ne sont que des mots. Words, words, words…
Aux lecteurs qui attendent à chaque nouvelle une « chute » selon la tradition, sachez qu’à l’exception de l’une ou deux, l’auteur livre des chutes toutes en douceur, des fins si évidentes, bien que parfois surprenantes qu’elles ne « chutent » pas, mais coulent de source… Néanmoins, la nouvelle intitulée Compassion a une chute, une vraie chute qui clôt d’une phrase et d’une façon merveilleuse la nouvelle : sursaut d’horreur ou éclat de rire, chaque lecteur aura sans doute une réaction différente !
Sur la chute, voici ce que dit G. Flipo sur son blog :
Ah, avant de finir, j’oubliais un truc. C’est significatif : j’oubliais la chute. Ne vous inquiétez pas de la chute. Ayez une fin en tête, bon, très bien. Ne cherchez pas forcément à en faire une chute, c’est une manie française, un rituel désuet. Arrangez-vous pour trouver une jolie phrase, qui sonne bien. Ne cherchez pas à surprendre ou à bouleverser la perception de votre nouvelle.
La chute, c’est une obsession bonne pour les jeunes comiques passant en première partie à l’Olympia. Vous ne racontez pas une histoire drôle à la fin d’un dîner, vous racontez une histoire dans l’intimité à un lecteur confiant. Respectez-le, ne cherchez pas à tout prix une pirouette qui dise « Ah, je t’ai bien eu, hein ! »
Les auteurs étrangers, à l’Est comme à l’Ouest, au Sud aussi, écrivent de remarquables nouvelles sans chute. Elles se contentent de finir, souvent fortement. Et parfois même en ne finissant pas, en laissant le lecteur continuer, imaginer la suite. Ils ne refusent pas la chute, ils en glissent parfois, mais seulement quand ça les arrange. C’est une option, rien de plus. Ce ne doit pas être l’objectif de la narration.
Bien des lecteurs, bien des auteurs, pensent autrement. Il y en a pour tous les goûts, c’est comme la cuisson des omelettes. »