Transat en ville. Emane, l’union par la voix et les mots

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Emane, image réalisée le 13 Jul 2023 par Guénolé Tréhorel Photographie.

Emane se produira le 8 août 2024 au Parc de Maurepas de Rennes, dans le cadre du festival Transat en Ville. Femme artiste. Artiste femme. À travers son histoire, sa vie et ses projets, ces deux qualificatifs se mêlent et se confondent. Mais le message transmis sur scène par la chanteuse rennaise reste clair : par la force de sa voix soul et la profondeur de ses mots, elle entend unir et rassembler. Retour sur son parcours.

Pour se présenter, Emane égrène les qualificatifs. Chanteuse, danseuse, musicienne… Artiste plurielle et passionnée, elle baigne depuis son enfance dans un univers culturel construit autour de multiples héritages et influences. Issue d’une famille métisse, elle met un point d’honneur à mentionner ses racines guadeloupéennes dans lesquelles elle puise continuellement son inspiration. Elle évoque entre autres le gwoka, genre musical traditionnel auquel elle a été introduite par son père : « Le gwoka est constitutif de l’identité guadeloupéenne [inscrit depuis 2014 au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, ndlr.]. C’est un art hybride, alliant danse, instruments (tambours, tam-tams) et chant. Né de l’époque esclavagiste, il était souvent joué le soir en cachette, car c’était à la fois un moyen d’évasion et de communication pour les esclaves. Il y a différents codes dans le gwoka : le -ka correspond au tambour [composé d’une peau de cabri, ndlr.] frappé par le batteur ; les chants sont en créole et les percussionnistes suivent et accompagnent les pas des danseurs. On retrouve le gwoka dans différentes cérémonies, les mariages, les enterrements, les anniversaires… c’est un moment de partage et d’union entre le public et les artistes. »

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Emane

Autant d’éléments auxquels Emane est encore aujourd’hui très attachée : « J’aime retrouver cette ambiance lors des lives, lorsque je suis sur scène ! Une véritable alchimie se produit entre les spectateurs et les artistes; ce sont ces moments-là qui donnent pleinement sens à mon travail. Je commence seulement à aimer le studio (un passage obligé) alors que je chante depuis que je suis ado. La proximité avec le public, leur réaction directe … Il y a vraiment un échange d’amour réciproque, une sorte de générosité communiquée à travers la voix, les paroles mais aussi les applaudissements. En fait, je donne autant que je reçois; la scène a quelque chose de profondément thérapeutique pour moi. Je pense que les lives sont le meilleur endroit pour fédérer et véhiculer le message de la musique en général ». 

Après la danse, puis le saxophone, Emane découvre le chant à l’adolescence. Un peu comme une révélation, elle se passionne pour le gospel qu’elle complètera plus tard avec des influences pop, soul, blues et RnB. Elle décide de se lancer dans une carrière solo après avoir évolué comme chanteuse lead au sein de différents groupes et sort en 2020 son premier album Like a Woman, suivi en 2024 par On my way, un EP aux accents rock et engagés. 

« J’utilise mon expérience à la fois pour dire qui je suis, en tant que femme, mais aussi pour parler aux autres, à celles qui se reconnaitront dans mes paroles. J’aborde et assume ce thème de la féminité guerrière, et non pas la position de la femme victime. C’est là la différence entre cet album et mon premier EP qui parlait davantage de ce que j’avais pu subir, en pointant du doigt le rôle des hommes. A l’inverse, cet album évoque mes choix et l’importance d’assumer ses responsabilités conformément aux décisions qui ont pu être les miennes. »

Une véritable mue artistique corrélée à son évolution personnelle : « Il y a eu comme un éveil, une avancée. J’incarne plusieurs femmes : la femme mère, la femme guerrière, la femme racisée. Assumer qui l’on est et qui on a envie d’être, cela signifie aussi pour moi prendre conscience que l’on possède un très grand pouvoir. Ce dernier n’est en rien synonyme de domination, mais plutôt d’une force vive qui nous meut et nous permet d’agir. Il y a cette idée qu’il faut saisir les opportunités telles qu’elles se présentent. C’est une question au fond très spirituelle sur la manière dont on envisage notre vie, sa construction et son utilité. »

« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront. »

« Rougeur des matinaux », poème de René Char

Comme un mantra, Emane semble avoir pris René Char au mot : 

« Je pense que je fais partie d’une génération où la femme doit être très empathique, bien tenir son foyer et bien travailler, le tout en étant au service des autres. J’ai entamé une relation où l’on a voulu me couper les ailes, allant jusqu’à remettre en question la place que je m’étais construite en tant que femme, musicienne et chanteuse », confie-t-elle. « Au bout d’un moment, j’ai décidé de dire stop, de mettre un terme à ces injonctions qui m’empêchaient de m’épanouir artistiquement. Je n’ai pas eu envie de me conformer à des codes, de correspondre à des métiers généralement associés à la féminité. Mon premier modèle a sûrement été ma grand mère, qui fut pour moi un véritable pilier et un exemple de femme libre. »

De l’ardeur féline au lien sororal 

Et puis il y a celles et ceux qui l’accompagnent depuis toujours. Ces artistes et ces figures qui ont nourri ses ambitions, participé à construire sa personnalité scénique et musicale. De Mickael Jackson à Beyoncé, certaines icônes pop forcent pour elle le respect, tant par leur prestance que par l’audace musicale dont ils et elles ont fait preuve. 

Artiste sous influences, Emane évoque en parallèle ces voix féminines noires américaines des années 1970 dont elle admire l’ardeur féline et la puissance vocale : « Aretha Franklin, Tina Turner, Chaka Khan, Nina Simone .. toutes ces femmes funk et soul des années 70 sont de véritables tigresses lorsqu’on regarde la force de caractère et la persévérance qu’il fallait pour assumer, voire revendiquer le statut de femme noire musicienne à l’époque. » 

« Ma jolie tu es plus douce que le miel / et je vais te donner tout mon argent / tout ce que je te demande quand je rentre à la maison / c’est du respect. »

« Respect », chanson d’Aretha Franklin

Hymne féministe, la chanson « Respect » d’Aretha Franklin constitue un tournant dans un contexte marqué par l’affirmation des droits et des désirs féminins. À l’intersection des questions raciales et féministes, la musique devient une véritable caisse de résonance des revendications politiques qui traversent les USA au XXe siècle. Comme une sorte d’héritage culturel et spirituel, cet « esprit funk » au carrefour du gospel, du rythm and blues, de la soul, du blues et du rock, est cultivé par la chanteuse dès ses débuts : « Quand j’ai intégré un groupe de reprises funk, j’ai ressenti une vraie force transmise par cette musique et ces paroles. Il se passait quelque chose de très profond, presque électrisant… C’est une musique qui vient des entrailles, qui « transpire ». Les textes résonnent profondément en moi, c’est puissant, rock. Je tente de puiser en partie mon énergie dans leurs textes, leur féminité et dans les valeurs qu’elles incarnent et transmettent. » Elle reste sensible à l’évolution et au renouvellement de la scène musicale contemporaine, mentionnant la rappeuse zambienne Sampa The Great, ou encore la franco-camerounaise Sandra Nkaké. Son titre « Sisters », sorti en 2023, résonne comme un puissant appel à la sororité : 

« We are sisters, sisters
Daring harder
Oh, we are sisters
Caring sisters
(…)
We’re all fighters in tears
We’ll wipe away all your fears
Don’t let the blitz get you down
Hand in hand, we’ll hold ground », Sandra Nkaké

Faire lien, restaurer l’unité et se construire dans une sorte de renforcement mutuel et de générosité réciproque, tel est pour Emane le sens du terme sororité. La nécessité de former un « nous », hors de toute compétition insidieuse ou d’une comparaison superflue, lui semble essentielle : selon elle, c’est l’articulation entre lien sororal et parcours individuels qui permet aux femmes de prendre leur place.   

Au terme de la conversation, on comprend que Emane cultive ce goût du dépassement de soi, une force combative qui résonne avec ses valeurs et sa féminité. Mais une fois sur scène, exit l’introspection :  la musique devient une manière d’actualiser artistiquement cette sororité, pour mieux prendre sa place et l’enflammer !  

Retrouvez Emane le 8 août 2024 au parc de Maurepas, dans le cadre Transat en ville, de 20h à 21h

16 Boulevard Raymond Poincaré
35700 Rennes

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