Avec Traversée du feu, Jean Philippe Blondel fait du combat contre son cancer, un formidable hymne à la vie. Un beau texte pour décrire la victoire de l’existence.
Il est des auteurs que les lecteurs suivent au fil des ans comme des marqueurs du temps, des époques, des humeurs. On ne lit pas obligatoirement toutes leurs œuvres mais on les picore au fur et à mesure des publications, pareil aux retrouvailles avec un ami parfois négligé. Jean Philippe Blondel fait partie de ces écrivains que l’on suit, l’on quitte, l’on retrouve. On avait aimé de lui Accès direct à la plage, 6H41, ou encore le dernier Café sans filtre, des romans dans lesquels s’applique sa profession de foi d’écrivain: « (…) j’aime bien observer les gens que j’aime bien. (…). Je suis devenu expert dans l’art de dévisager les autres et de remarquer les détails, les colorations indésirées, le tremblement des membres, la légère cassure dans la voix ». Se glisser dans un compartiment de train, s’allonger sur une plage, s’asseoir à la table d’un café, et observer, regarder la vie des autres, l’imaginer, c’est ce que racontent beaucoup des livres du romancier, volontairement resté professeur d’anglais à Troyes.
Cette fois-ci, c’est à un autre exercice que se livre Jean Philippe Blondel. Les failles, les rougeurs, ce sont les siennes qu’il va devoir observer, analyser, décrire pour devenir l’écrivain de ses propres mouvements, de ses pensées intimes lorsqu’il découvre en 2021, en pleine pandémie, qu’il est atteint d’un cancer du système lymphatique. Il faut traverser alors le deuxième cercle de feu de son existence, quarante ans après s’être brûlé avec le premier embrasement, la mort de son frère et de sa mère dans un accident d’une voiture dans laquelle il aurait dû être, accident provoqué par son père décédé quatre ans plus tard. Seul à l’âge de 21 ans, le premier cercle de feu a été traversé. C’est un nouvel incendie qui ressurgit lorsque le nouveau combat se prépare, celui de la maladie. Cette nouvelle épreuve devient le prolongement de la première, telle la caisse de résonance d’une vie reconstituée à décrire et à écrire.
Même si les précédents ouvrages laissaient apparaître pour les fidèles lecteurs quelques pistes autobiographiques, cette fois-ci il ne faut plus raconter Christophe ou Fabienne. Il faut écrire « Je ». Et écrire ainsi la première phrase : « J’ai des chaussures de running mauve et orange ». Voilà c’est fait. Mais Jean Philippe Blondel ne serait pas ce qu’il écrit sans le regard sur les autres et très vite il ausculte à son tour, les soignants, les professeurs, tous celles et ceux qui consacrent leur vie à la vie des patients. Et puis il y a aussi les amis, la famille, les collègues, ceux qu’il invite à venir marcher avec lui entre ses six cures de chimiothérapie, aux Viennes. La bienveillance est partout mais elle est lucide et sans indulgence lorsqu’il s’agit de trouver les raisons de combattre et le parcours se décline en sept chapitres, Courir, Annoncer, Absorber, Marcher, Ecouter, Envoyer, Jouir, comme autant d’étapes d’un chemin à escalader mais qui ne peut s’effectuer sans un regard en arrière. Alors la vie, ses brisures, ses cassures, ses bonheurs défilent mais sans apitoiement, sans larmes avec des souffrances, des angoisses que l’on devine, parfois écrites à demi-mots, toujours à hauteur d’homme. Au bout du combat, le premier feu réapparait, avec un nouveau regard, celui des années écoulées mais aussi l’envie terrible de continuer à vivre. Le drame originel est là, partout entre chaque ligne, entre chaque mot. Et avec lui comme une envie de pardonner et de rompre enfin, une dernière fois. À jamais.
Aux lectrices et lecteurs que le thème effraierait on peut leur transcrire ici la dernière phrase des chapitres: « Secoue toi », « Et surtout je n’avais pas envie que ça se termine », « Les jeux du soleil dans les feuilles. Je ne suis pas prêt à lâcher ça », « Là en cette matinée d’avril, je la retrouve cette montée de sève ahurissante. Ce que certains appellent l’envie de vivre. Autant de preuves que cet ouvrage est avant tout un formidable hymne à la vie.
Dans la postface à la dernière édition de Accès direct à la plage (Editions Finitude), Jean Philippe Blondel précisait qu’il voulait comme auteur être un pont, qu’on lui marche dessus pour traverser les moments difficiles, qu’il ressentait le besoin d’écrire « pour qu’on m’emprunte afin d’aller ailleurs ». Cette fois ci il est à la fois le pont et le marcheur. Le gouffre a été franchi et de l’autre côté il y a « les gens. Le bitume. Les arbres rabougris. La coulé verte en contrebas ». Cela aurait vraiment été dommage de lâcher ça. Jean Philippe Blondel n’a pas lâché. Et c’est tant mieux.