Le prince Pietr Wolkonsky (1901-1995) disait de son jardin extraordinaire à Trédarzec, dans les Côtes d’Armor, qu’il était un monde clos, à la fois naturel et façonné, comme revisité par une même sensibilité durant 25 ans. Christian Louboutin, le nouveau propriétaire des Jardins de Kerdalo, ouvre les visites au public. Attention : les jardins de Kerdalo forment davantage un beau petit parc boisé (d’environ 5 hectares visitables) qu’un jardin remarquable en raison d’une quantité et d’une variété florales assez faibles.
A la fois peintre, architecte et paysagiste, Peter Wolkonsky a remodelé en 1965 un vallon de 17 hectares, qui descend en terrasses vers la rivière le Jaudy, pour créer son jardin. Il était conscient de l’importance de l’eau pour l’épanouissement végétal, raison pour laquelle il avait choisi de s’installer sur cette terre vallonnée où sinuent plusieurs sources. Peter Wolkonsky a imaginé un jardin rythmé de bassins, de cascades, d’escaliers d’eau, avec aussi une grotte italienne et des pavillons ornés de coquillages. C’est là que respirent 5000 plantes aujourd’hui !
Peter Wolkonsky s’est entouré de grands pépiniéristes dont l’Anglais Harold Hiller de Winchester. Le choix de végétaux s’est fait minutieusement selon des critères de rareté, mais surtout de couleurs. Les landes dorées et les plantes composent une série de tableaux d’une beauté époustouflante. L’inspiration est anglo-italienne, aux antipodes d’un paysagisme académique qui place les plantes comme des ronds et des carrés sur un plan régi par des métrés.
Olivier Maillet, directeur du Jardin exotique Georges Delaselle sur l’île de Batz un autre lieu d’exception, complimentait sur France Inter, « que les Jardins de Kerdalo était un résumé du monde ».
La visite des Jardins de Kerdalo
C’est au plus haut du domaine que commence le parcours à Kerdalo. La Vallée humide du Haut est agrémentée de hauts chênes verts. C’est à cet endroit que se trouvait l’ancien verger, un emplacement idéal pour une composition de rhododendrons augustini et de magnolias soulangeana. Choisis dans les tons de bleu et d’orangé, un très grand nombre d’entre eux provienne du jardin de la Garden House créée par Lionel Fortescue en Angleterre. A l’abri de la clôture de houx, des hortensias, des acanthes et des arums, se penchent au-dessus de petites mares. De beaux spécimens sont à découvrir : le stewartia japonica, le drimys lanceolata, le magnolia x soulangeana Brozzoni et le rhododendron Sir Charles Lemon.
Plus loin à l’extrémité d’un Bassin rectangulaire aux aspects asiatiques, le public pourra apprécier une pagode en bois imaginée par Peter Wolkonsky lui-même. Elle attire l’œil car elle s’inspire des lavis de l’architecte anglais Robin pour les jardins de Woodside Old Windsor datant de la fin du XVIIIème siècle. Au printemps, les exochordas x macrantha se parent de leurs innombrables petites fleurs blanches quand les magnolias arborent leur splendide parure rose et blanche. Quant à l’automne un paravent rouge flamboyant s’y déploie : la vitis coignetiae.
La Lande dorée, colonisée par les genêts et les ajoncs de Peter Wolkonsky renferme aujourd’hui des taxus baccata, des pittosporums tenuifolium, des cornus alba et des génistas atenensis. Quelques touches de rouge ont été ajoutées avec des cornus alba Sibirica et des cotinus coggygria Atropurpurea. Tous ces spécimens remarquables sont âgés de plus de quarante ans. Ils donnent à la Lande Dorée l’apparence d’une peinture de Peter Wolkonsky !
Les Quatres carrés, visibles depuis le belvédère du jardin face au manoir, ont été conçus sur l’ancien potager de la ferme. Ils devaient accueillir la collection d’iris de Peter Wolkonsky. L’espace a été entièrement revu par Timothy Vaughan entre 2002 et 2004, car les inondations de l’automne 2000 ainsi que les mauvaises herbes ont eu raison de l’endroit. Aujourd’hui, c’est une palette de rose et de bleu avec des penstemons Evelyn, des persicarias affine, des alliums sphaerocephalon et des géraniums Rozanne. Quelques touches de jaune vif avec les hakonechloas macra Aureola réhaussent l’ensemble. Cette hauteur permet d’apprécier les formes géométriques et les symétries et porte son regard au loin, sur la Lande Dorée.
La Vallée du bas longe le grand étang jusqu’à la digue. Le spectacle y est grandiose au printemps comme en été. Le jaune vif des lysichitums americanum et les blancs lysichitums camtschatcensis sont les premières floraisons au début du printemps. C’est ensuite au tour des gunneras manicata de faire leur entrée. Encore parées de leurs protections hivernales, les nouvelles feuilles se déploient. Dans cette partie du jardin, la floraison des azalées et des rhododendrons est spectaculaire au début du mois de mai. En été, les fleurs et les feuilles gigantesques des gunneras manicata se mêlent aux matteuccias struthiopteris, aux astilbes et aux feuilles de lys chitons pour former une véritable jungle ! En automne, les gunneras sont protégés en plaçant sur leur cœur les feuilles coupées.
La Grotte italienne Peter Wolkonsky aimait les jardins italiens, caractérisés par la présence apaisante de l’eau et des grottes, l’origine terrestre des hommes. C’est dans cet esprit qu’il a construit ce petit édifice. Les personnages marins ornent les murs. Fabriqués à partir de coquillages, ils donnent à l’endroit une atmosphère de mystère. Durant tout l’été, les feuilles gigantesques des gunneras manicata amplifient cette sensation. Les troncs particuliers des lumas apiculata sont à découvrir à proximité de la grotte.
Les Terrasses sont exposées plein sud. Le printemps de ce petit Nice se réveille avec une dominante de jaune-vert puis devient impressionnant avec la floraison des accacias pravissima. En été c’est une explosion de couleurs ! Le rouge flamboyant et le jaune vif des crocosmias Lucifer et Paul’s Best se mêlent au feuillage gris argenté du mélianthus major. Il y a aussi les petites fleurs blanches délicates des hoherias sextylosa et le jaune des kniphofias Green Jade. La floraison des Beschorneria yuccoides est à ne pas manquer. A l’automne, le feuillage rouge du cotinus coggygrya Grace et la fleur de la fascicularia pitcairniifolia donnent la dernière touche de couleur sur les Terrasses.
Le prince Peter Wolkonsky est né en 1901 à Saint-Pétersbourg en Russie. Déjà enfant, il se découvre une passion pour la botanique, quand il se glisse discrètement dans le potager du tsar qui réside dans le palais voisin. Il quitte sa région natale en 1917 à la Révolution. Il passe la première partie de sa vie à voyager et à peindre les plantes et les paysages en Afrique du Nord, en Italie et en Méditerranée française. Il s’installe ensuite en région parisienne à Saint-Cloud en 1926 : c’est là qu’il crée son premier jardin. Devenu trop petit à son goût, Peter Wolkonsky arrive en Bretagne en 1965. Il fait connaissance avec Le Verger, une ancienne ferme surplombant la rivière du Jaudy et qui fait face à la vieille ville de Tréguier dans les Côtes du Nord (Côtes d’Armor depuis 1990). Après le déboisement, la canalisation des sources, le creusement de l’étang de près d’un hectare, les plantations et les constructions successives, le lieu devient les Jardins de Kerdalo. L’endroit est unique, il y construit son paradis de verdure ! Peter Wolkonsky commence ses plantations avec des arrivages d’Angleterre car dans les années 70, il n’y a peu de fournisseurs en France. Il trouve des plantes du Japon, de Nouvelle Zélande, du Mexique, ainsi que des fougères et des rhododendrons dans les zones fraîches et humides. En revanche, il installe sur les terrasses supérieures des plantes méditerranéennes originaires de Turquie et d’Afrique du Nord…
Au décès du Wolkonsky en 1997 à l’âge de 96 ans, les Jardins de Kerdalo ont été repris en main par sa fille Isabelle et son mari Timothy Vaughan, dignes héritiers du prince russe blanc.
Aujourd’hui et depuis 2021, les Jardins de Kerdalo sont la propriété de Christian Louboutin, le chausseur devenu célèbre avec ses créations, notamment avec son talon aiguille et ses semelles rouges. Il propose aux visiteurs de découvrir les nouveautés mises en terre avec notamment des plants adaptés au climat actuel et à la sécheresse. Sa collection impressionnante de végétaux rares est entretenue en permanence par une équipe de jardiniers motivés. Les jardins de Kerdalo sont détenteurs du label jardin remarquable, décerné en 2005 par le Ministère de la culture et de la communication sur des critères de composition, d’intégration dans le site, de qualité des abords, d’intérêts botanique et historique, d’entretien et de gestion. Ils sont aussi inscrits à l’inventaire des Monuments historiques depuis 2007.
Fragiles, à la merci du temps, des changements climatiques et de la pollution, les Jardins de Kerdalo vivent dans un monde magique, blotti, clos et secret, qui font de cette nature un univers botanique romantique.
Les Jardins de Kerdalo : Chemin de Porz Bihan à Trédarzec (22)
(à 2 km à l’est de Tréguier par la D20 direction Kerbors)
Visites : d’avril à septembre
et du mardi au samedi de 15h à 19h
Dernière entrée aux Jardins à 17h30
Tarifs : 12 euros par personne ; 5 euros pour les moins de 25 ans et gratuit pour les moins de 6 ans. Aucune autre réduction ni gratuité ne sont accordées.
Contact : Tél. : 02 96 92 35 94 – 07 65 16 06 75 ou : lesjardinsdekerdalo@gmail.com