True Detective, L’art de la série télévisée (sans spoilers)

True Detective, après une éclatante première saison diffusée en 2014, a d’ores et déjà marqué d’une pierre blanche l’histoire de la série télévisée. Jamais ce genre, souvent jugé mineur par rapport au cinéma, ne s’était tant rapproché du 7e art, aussi bien d’un point de vue thématique qu’esthétique. En outre, l’utilisation originale des normes du polar, aussi bien psychologique que métaphysique, produit un redoutable jeu de tiroirs au service d’une enquête fascinante.

 

« Tout ça pour réaliser que toute ta vie – tu sais, tout ton amour, ta haine, tes souvenirs, ton chagrin –, c’était la même chose. Le même rêve. Un rêve enfermé dans une pièce verrouillée. Le rêve d’être une personne. Et comme dans beaucoup de rêves, il y a un monstre à la fin. »

Bien des aspects de cette première saison de True Detective évoquent le cinéma dans ce qu’il a de meilleur. On remarquera tout d’abord, fait notable, que l’intégralité des huit épisodes est écrite par un seul scénariste, Nic Pizzolatto (qui est aussi le créateur de la série). Et elle est mise en true detectivescène par un seul réalisateur, Cary Fukunaga.  True Detective se présente alors plutôt comme un long-métrage de huit heures découpé en chapitres que comme un banal feuilleton aux épisodes sans lien les uns avec les autres. Les deux acteurs principaux, Matthew McConaughey et Woody Harrelson, viennent eux aussi du cinéma ;  ils ont tous les deux fait leurs armes chez les plus grands cinéastes anglo-saxons : Jeff Nichols, Martin Scorsese, Steven Soderbergh  (et à venir Christopher Nolan) pour McConaughey ; les frères Coen, Robert Altman (et prochainement John Hilcoat) pour Harrelson. Côté mise en scène, comment ne pas évoquer le désormais mythique plan-séquence de six minutes de l’épisode quatre, qui a permis à Cary Fukunaga de décrocher l’Emmy Award de la meilleure mise en scène pour ce même épisode ?

Au-delà de ses multiples points communs avec le cinéma, True Detective se révèle être une série à la profondeur inouïe. Son nom a priori banal est finalement représentatif d’un des niveaux de lecture de la série : Nic Pizzolatto pulvérise les codes du polar et du thriller pour aboutir entre autres à un tableau saisissant de la condition du « véritable inspecteur », loin des clichés véhiculés par NCIS ou Les Experts. Le scénario se révèle, par ce traitement, bien plus passionnant qu’il n’aurait pu le sembler au départ : en 1995 en Louisiane, Martin Hart et Rustin Cohle enquêtent sur le meurtre rituel de Dora Lange, une ancienne prostituée. Cohle est convaincu que Dora n’est pas la seule victime, mais Hart est sceptique quant à cette idée. Ils découvrent ensuite le cas de Marie Fontenot, une petite fille disparue cinq ans plus tôt. A l’époque, aucune enquête n’avait été ouverte. Dix-sept ans plus tard, Cohle et Hart sont interrogés séparément, à cinq jours d’intervalle, sur Dora Lange par les détectives Thomas Papania et Maynard Gilbough. Ces derniers veulent savoir comment le tueur aurait pu frapper à nouveau s’il a été attrapé en 1995.

true detectiveÀ partir de ce point de départ, Nic Pizzolatto met en place un redoutable jeu de tiroirs, lequel révèle peu à peu de nouveaux éléments d’une enquête fascinante. L’auteur utilise donc cette enquête pour réaliser un ample tableau psychologique de ces « véritables inspecteurs ». Et ce qui en fait des sujets particulièrement intéressants, c’est bien leur confrontation quotidienne et inévitable à l’horreur du monde. Les images du Mal ne manquent pas dans cette première saison de True Detective : assassinats sataniques et sadomasochistes, vidéos de rituels pédophiles, enfant « séché » au micro-onde… La fameuse sentence pascalienne – « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser » – se trouve déjouée, par l’exception que constitue le métier d’inspecteur, constamment mis face aux maux humains. Cependant, la force de True Detective se trouve dans la tension qu’elle exerce entre l’immondice absolue et la poésie de notre monde. Aux images true detectivecruelles se mêlent des séquences bien plus contemplatives, souvent filmées en plans fixes : les couchers de soleil, la Louisiane et sa nature à la fois sauvage et belle… Parfois, Cary Fukunaga va jusqu’à mêler atrocité et splendeur dans une même séquence : lorsqu’il filme l’angoisse de Rustin Cohle, alias Matthew McConaughey, au milieu de hautes herbes, dans le superbe final de la série (on n’en dira pas plus…).Ainsi, l’étude psychologique des deux personnages centraux est intimement liée à un tableau saisissant de la dualité radicale de notre monde, résumée ainsi par Matthew McConaughey : « Il n’y a qu’une histoire… La plus vieille de toutes… La lumière contre les ténèbres… » Si cette phrase laisse croire à du caricatural dans la distinction morale, il n’en est rien dans la série qui échappe à tout manichéisme. Les deux héros sont effectivement aussi à leurs heures des « méchants ».

true detectiveTrue Detective sonde à la fois la noirceur et l’éclat de l’âme humaine, s’intéressant aussi bien aux tergiversations des deux personnages centraux qu’à leur façon d’appréhender le monde, dans lequel ils sont soumis à l’horreur la plus totale. Si Cohle semble être rendu radicalement pessimiste, du moins dans la majeure partie de la série, par son expérience de policier, Marty, le personnage de Woody Harrelson, l’envisage avec plus de détachement, menant une vie sereine de père de famille infidèle à ses heures.Nic Pizzolatto explore la complexité éthique des deux personnages, tous les deux partagés entre le Bien et le Mal : si leur métier semble une illustration du premier, les deux n’hésitent pas à abuser des privilèges garantis par leur fonction. Comme préviennent les affiches de la série : « Le mal se trouve des deux côtés de la loi ». L’occasion de saluer la prestation magistrale des deux acteurs principaux.
true detectiveL’intensité de leur jeu, et leur complicité évidente, place leurs performances, ou plutôt leur performance, au panthéon des interprétations les plus saisissantes des dernières années, aussi bien au cinéma qu’à la télévision – mais y a-t-il vraiment, ici, une différence ? Sans dévoiler de détails-clés de l’intrigue, nous pouvons dire que la série, après avoir questionné l’état actuel de notre monde, s’offre le luxe d’une supposition optimiste, selon laquelle la lumière commencerait à prendre le pas sur les ténèbres. À condition que nous fassions les bons choix… 

La richesse scénaristique et esthétique de True Detective lui permet donc de rentrer dès cette première saison dans le club très fermé des meilleures séries de tous les temps, en mêlant interprétation parfaite des acteurs, finesse psychologique et atmosphère presque mystique. Nic Pizzolatto et Cary Fukunaga ont réalisé en une saison une série à l’ampleur impressionnante qu’il sera dur de surpasser. Rendez-vous l’année prochaine, pour une deuxième saison proposant une nouvelle intrigue et de nouveaux personnages.

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Valentin Denis
Normalien (ULM) et étudiant en philosophie, Valentin Denis est notamment passionné par le 7e art et la musique.

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