Le réseau social Twitter, rendu mondialement célèbre grâce à son principe de micromessages que l’on ne peut modifier après l’envoi, propose depuis peu un nouveau contenu. À l’image des autres réseaux sociaux, les utilisateurs ont cherché un moyen de rendre l’application artistique,et d’y appliquer de nouvelles règles pour, notamment, rendre la littérature possible sur l’application.
Twitter voit le jour en 2006 et se définit comme un réseau social de microblogage. Son système repose essentiellement sur les tweets, « gazouillis » en anglais, qui apparaissent sur la page d’accueil de l’application. Le réseau social est devenu célèbre par son format court et immuable, les utilisateurs devant écrire des textes de 280 caractères maximum. Cette contrainte pousse les tweets à être synthétiques et sans détour, la nuance étant difficile en 280 caractères. Et comme les tweets ne sont pas modifiables, nous avons l’impression de laisser une marque indélébile sur le mur virtuel qu’est Twitter. Il semblerait que cette perspective de l’instantané ait amené un nouveau type de littérature avec elle…
Comme pour tous les autres réseaux sociaux, les utilisateurs ont tenté de trouver un moyen de rendre l’application plus artistique, en intégrant de la littérature sur la plateforme. Si l’idée paraît impossible aux premiers abords, la littérature demandant souvent un texte plus long que 280 caractères et un travail de réécriture conséquent, il semblerait que la définition elle-même ait évolué pour s’adapter au réseau social…
« Tout chantier d’écriture s’insère d’abord sur le texte. Et puis vient un moment où le livre prend le relais, exige d’autres outils, d’autres reprises et approches », explique le écrivain, éditeur et traducteur français François Bon, fondateur du site Le Tiers livre en 1997. Le livre demande un travail constant sur le texte, dans la forme comme dans le fond. C’est le cas pour le livre papier, mais aussi pour le livre numérique qui passe par un travail de réécriture de l’auteur puis de correction par les éditeurs et correcteurs. Ce qui est peu souvent le cas de ce qui est écrit sur les plateformes numériques et encore moins sur Twitter.
Bien que le livre et la littérature soient des termes synonymes, il semble que leur relation sémantique dépasse la simple ressemblance. Selon François Bon, il y aurait une relation de hiérarchie qui relie les deux mots. La littérature comprend le livre, mais pas l’inverse. Le livre est une des formes de la littérature et non la littérature dans son entièreté. Ce premier est donc l’hyponyme de la littérature, tandis que cette dernière est son hyperonyme.
Cette observation apporte avec elle une nouvelle question. Quelles seraient les autres formes de la littérature ? La littérature numérique en serait-elle une ? Et de quelle manière la fait-elle évoluer ?
Dans le précédent article sur la lecture numérique communautaire sur Wattpad, la littérature a été définie comme une expérience plurielle et à plusieurs, à différents niveaux : entre le lecteur et le texte, entre le lecteur et l’auteur, mais aussi entre les utilisateurs. Dans le cas de Twitter, qu’est-ce que l’application apporte à la littérature et comment la change-t-elle ?
Écrire sur Twitter signifie que l’écriture devient directe et instantanée. Cela demande aussi d’adapter son écriture sur la plateforme pour y adhérer. La limite des 280 caractères est la contrainte primordiale à ne pas oublier pendant l’écriture. Elle impose d’écrire des phrases courtes, concises et souvent immédiates dans sa forme, notamment pour le premier tweet. Twitter propose un système de thread (« fil » en anglais) qui relie plusieurs tweets ensemble qui permet de construire un texte un peu plus développé qu’un message court. Toutefois, cela veut aussi dire que l’auteur doit capter l’attention dès le premier tweet pour donner envie aux lecteurs de dérouler le fil. Pour ce faire, les auteurs y écrivent généralement l’intrigue, voire un court résumé comme tweet d’accroche avec quelques mots clés (sous hashtag pour apparaître sur le feed des non-abonnés) avec les thèmes abordés, donnant un avant-goût de l’histoire. Mais comment garder l’intérêt des lecteurs à travers le fil et notamment dans l’attente du prochain tweet ?
Les auteurs ont deux choix : soit tweeter un message après l’autre, le texte tombant au compte-goutte au fur et à mesure de l’écriture et des minutes qui passent, soit tweeter un fil déjà construit d’un coup. C’est une possibilité proposée par le réseau social depuis 2017, de publier un thread de plusieurs tweets en un instant et qui permet alors aux lecteurs de lire un texte plus fourni.
Toutefois, ces simples systèmes ne suffisent souvent pas à pouvoir construire un site de lecture convenable pour l’utilisateur. Comment savoir où l’on s’est arrêté dans sa lecture ? Comment faire quand on tombe au milieu d’une fiction et que l’on veut aller au début de l’histoire ? Comment retrouver une fiction et savoir laquelle est finie, laquelle est en cours ? De nouveau, les utilisateurs vont s’approprier le site afin de répondre à ces problématiques, si le site ne le fait pas déjà. Quand un utilisateur tombe sur un tweet au milieu d’un thread, le tweet qui le précède est le tout premier du fil, en cliquant dessus on peut récupérer le début de l’échange. Ainsi, quand un utilisateur tombe sur un tweet avec un bout de fiction, il n’a qu’à regarder le tweet précédant pour trouver le début.
Toutefois, il existe un autre moyen de renvoyer au début de l’histoire, notamment dans le cas de bug ou d’un fil trop long à remonter pour le lecteur et l’application… À la fin de parties ou de chapitres si l’auteur tente de fragmenter sa fiction, il y a un tweet « To the top » (« au début » en anglais) qui mentionne le lien du premier tweet du fil. Pour organiser les différentes fictions, il y a souvent le tweet « thread of threads » (« le fil des fils » en anglais) qui est épinglé en haut du profil d’un auteur, ce thread regroupe toutes les autres fictions, selon des catégories (les thèmes, les formes ou les états).
Mais que va devenir la « twittérature » avec l’arrivée d’Elon Musk à la tête de l’application ? C’est la question que bon nombre d’utilisateurs se sont posés. Changer d’application a été envisagée, mais la perte d’une communauté rebute à le faire. Toutefois, les changements continuent de se produire sur l’application et les polémiques se démultiplient depuis le rachat du réseau social. L’une des plus importantes modifications étant Twitter Blue. « Twitter Blue est un abonnement mensuel qui donne aux personnes les plus engagées sur Twitter un accès exclusif à des fonctionnalités premium », explique l’application. D’un montant de 2,99$ par mois, cet abonnement premium est indiqué par une pastille bleue à côté du profil de l’utilisateur, et a complètement chamboulé l’application et son fonctionnement. La page d’accueil de Twitter, aussi appelé « feed », a été la première à montrer les différences. Il a été annoncé que les comptes certifiés Twitter Blue seraient mis en avant sur le feed, mais la vague de refus des utilisateurs a entraîné une légère modification. Le feed est désormais scindé en deux, une partie « pour vous » et une autre « abonnements »… ce qui n’est pas sans rappeler un certain réseau social tout droit venu de Chine.
Cet abonnement change le fonctionnement pour le lecteur mais aussi pour l’auteur. Avec Twitter Blue, il sera possible d’allonger ses tweets de 4000 caractères, d’annuler ou de modifier des tweets, à l’instar de ceux ayant la version gratuite du site qui continueront à avoir la version de départ. Certaines fonctionnalités vont aussi impactées la version gratuite comme la limitation du nombre de tweets journaliers ou l’interdiction de tweets promotionnels d’autres médias. Ce qui empêcherait les auteurs de mettre en avant leurs autres réseaux sociaux mais aussi d’être rémunérés via des sites spécifiques comme Patreon ou Kofi… Bien que ce ne soit que des propositions à ce jour, la peur que ces implantations se concrétisent dans les mois à venir persistent chez les utilisateurs.
Par son fonctionnement et son système, Twitter favorise une écriture courte et instantanée. Le réseau social a vu se développer une toute nouvelle forme de littérature qui a su s’adapter à l’application, tout en la transformant en une plateforme numérique littéraire. Le feed est devenu une page immense et infinie d’écriture instantanée, franche et directe. Mais le nouveau tournant que prend Twitter interroge sur sa durabilité dans la littérature numérique. Les auteurs pourront-ils et voudront-ils continuer à écrire sur la plateforme ? La twittérature va-t-elle évoluer avec son site ? Sera-t-il possible de conserver l’art d’écrire ou est-ce la fin d’une aire ? Il semblerait que les réponses à ces questions nous parviennent plus vite que prévu…