Il est des écrivains dont les manuels scolaires (ou universitaires) de littérature française n’évoquent même pas, ou si peu, la figure et les textes. C’est typiquement le cas de Gédéon Tallemant des Réaux, ce libertin du Grand Siècle, et de son œuvre, les Historiettes. Le manuscrit, écrit entre 1657 et 1659, sera édité, pour la première fois dans son intégralité, dans la « Bibliothèque de la Pléiade » seulement en 1960 sous la direction d’Antoine Adam. En 2013, Michel Jeanneret a publié, dans la collection de poche « Folio », une anthologie, donnant à lire l’essentiel de cette littérature très mal connue du public.
Tallemant des Réaux, né et élevé à La Rochelle, au sein de la société protestante, banquière et cossue, de la ville, était un épicurien, vite attiré par les belles femmes, comme par les belles-lettres. Monté à Paris, il se liera d’amitié avec le futur cardinal de Retz, Scarron, Furetière, La Fontaine, Voiture, mais aussi Ninon de Lenclos, Mademoiselle de Scudéry, ou Madame de la Sablière. Il fréquentera les salons et en tirera moult observations personnelles et informations de première main qui feront la matière de ses Historiettes.
« Comme la presse people d’aujourd’hui, ce sont les gens qui l’intéressent, leurs intrigues, leurs mœurs, leurs drames […]. Vision réductrice, certes, mais quand on pense à la collusion entre intérêts personnels et affaires publiques qui, sous Richelieu et Mazarin, commandaient la politique, on se persuade que, de la bagatelle à l’essentiel, du trivial au primordial, il n’y a souvent pas loin » écrit Michel Jeanneret, dans sa préface.
Pas de plan préétabli dans ces Historiettes, pas de de vision globale de la société à la manière d’un Saint-Simon, tout juste quelques têtes de chapitres vaguement thématiques : « Femmes vaillantes », « Les amours de l’auteur », « Contes d’Italiens sodomites »… Pas de morale non plus : Tallemant se contente d’observer sans juger avec une verdeur de langage directement héritée de la Renaissance et une liberté de ton peu conventionnelle. Le vocabulaire, souvent aussi cru que cruel, décrit des ecclésiastiques libidineux, des vieillards coureurs de jupons, des femmes aux allures de marâtres ou de folles, des extravagants monomaniaques ou psychotiques. Les scènes d’adultères, plus ou moins débridées, de rapports sexuels, plus ou moins consentis, dont sont parsemées les Historiettes, ne sont que la conséquence, dit implicitement Tallemant, de ces unions arrangées, sans l’accord des époux, qui conduisent invariablement à l’infidélité généralisée, au libertinage permanent, voire aux pires déviances sexuelles.
Cet anthropologue avant l’heure observait autant les bas-fonds de la société que les hautes sphères du pouvoir. Sous son regard, Richelieu est brutal, avare et vaniteux, Henri IV surtout occupé à folâtrer, Marie de Médicis d’une naïveté confondante, et Louis XIII cruel et dissimulateur.
Pourtant ce libertin ne raillera jamais les vraies valeurs, qu’elles soient humaines, religieuses ou politiques quand elles sont portées par des femmes et des hommes sincères. En ce sens, et à sa manière, il est un moraliste.
« Tallemant des Réaux dévoile un XVIIè siècle truculent et turbulent […], une comédie humaine pas moins grouillante ni intrigante que celle de Balzac, un étrange capharnaüm qui malmène le mythe du Grand siècle. Un vent se lève, qui décoiffe les perruques et fait tomber les masques. » nous dit Michel Jeanneret pour ouvrir cette anthologie, indispensable à qui voudra connaître cet esprit libre injustement méconnu.
►Tallemant des Réaux, Historiettes, choix et présentation de Michel Jeanneret, édition d’Antoine Adam, notes d’Antoine Adam et de Michel Jeanneret, collection Folio classique (n° 5558), 928 p., 2013, ISBN : 9782070443116, prix: 14 euros.
►Illustrations du billet: Gaston Barret, Historiettes de Tallemant des Réaux, éditions Albert Guillot, 1952, et André Collot, Historiettes galantes de Tallemant des Réaux, éditions de Montceau, 1943.