UN JOUR CE SERA VIDE D’HUGO LINDENBERG OU LA RENCONTRE DE DEUX ENFANCES

Deux enfants au soleil d’une plage et d’un été normand se rencontrent, deux enfants que tout oppose : le milieu familial, le statut social. L’un est orphelin de mère, garçon de dix ans et personnage principal du livre, il grandit non sans mal entre sa grand-mère et sa tante. L’autre enfant évolue entre père et mère dans une harmonie et un bonheur sans ombre dont rêve notre jeune narrateur. Tout cela donne un récit merveilleux de sensibilité signé d’un primo romancier qui réussit là un coup de maître.

UN JOUR CE SERA VIDE LINDENBERG

« L’enfant est à contre-jour », premiers mots du livre. Cet enfant à contre-jour que le jeune héros du récit voit s’approcher de lui et dont il peine à distinguer le visage et le regard dans le soleil qui éblouit, c’est Baptiste, raconte Hugo Lindenberg. Garçon solitaire – « rien ne m’est plus étranger qu’un garçon de mon âge » avoue-t-il -, l’enfant, approché par cet intrépide Baptiste, est également timide, au point de n’avoir encore noué aucune relation avec aucun autre enfant jouant sur le sable et dans l’eau. Alors la rencontre, hasardeuse et heureuse, de notre tout jeune garçon avec Baptiste sur la plage est pour lui comme un petit événement, et le début d’une amitié d’été qui illuminera les vacances de l’un et de l’autre.

ROSE POURPRE DU CAIRE

Dès leurs premiers mots échangés naît en effet une entente qui fera d’eux de vrais frères de cœur. Hugo – nommons-le ainsi dans ce roman aux forts parfums d’autobiographie avouée par l’auteur  – est comme le personnage de la « Rose pourpre du Caire », l’un des films que notre jeune narrateur revoit toujours en frémissant :

« Ça raconte l’histoire d’une femme malheureuse qui va tout le temps au cinéma voir le même film pour oublier son existence morose. Un jour son personnage préféré sort de l’écran et vient à sa rencontre dans la vraie vie. C’est exactement ce qui m’est arrivé avec Baptiste. Jusqu’à notre rencontre, j’allais à la plage pour le spectacle des familles. […] Voir des parents avec leurs enfants. Le quotidien banal d’une famille normale. »

Lui, en effet, n’est pas dans cette banalité, ce confort et ce bonheur d’une vie paisible entre père et mère. Sa mère, il l’a perdue. « Pas l’accident, mais la mort volontairement. L’abandon. » Cet aveu qu’il fera à Baptiste à mesure d’une complicité grandissante, il n’aura jamais osé le faire à sa grand-mère qui entretiendra toujours des secrets familiaux, générationnels, historiques. « Le silence, c’est ça mon héritage. » L’enfant en est malheureux et le délicat Baptiste l’aura compris, qui le laisse parler dans ces moments d’échange et de douceur, à la plage ou à la maison.

« Comme toujours avec lui, le temps coulait, un moment se versait dans un autre. […] Il avait attendu longtemps, le temps de gagner ma confiance, pour commencer à poser des questions. »

La grand-mère, fermée dans de lourds et permanents silences sur les ombres et tragédies d’une lignée familiale polonaise et juive jusqu’à rendre malheureux son petit-fils, est la seconde mère dont Hugo, malgré tout, ne saurait se passer. Il partage la chambre de cette vieille et corpulente femme qu’il adore, aux gestes ostentatoires, aux manières désuètes, qui roule les « r » avec l’accent rocailleux des immigrés d’Europe centrale. « Je devrais avoir honte d’elle » avoue-t-il quand elle s’installe sur le sable avec lui, « grosse dame en maillot de bain une pièce », tricotant et jamais ne se baignant, s’approchant parfois « à la lisière des vagues pour s’asperger d’un peu d’eau de mer grâce à la coupelle de ses mains. »

Vieille dame plage
Photo Unsplash / Cristina Gottardi

Paysanne à la plage au milieu de tous ces citadins « comme il faut », elle va même proposer à la famille de Baptiste sur la plage, en mamie nourricière, un en-cas de sa Pologne natale, morceau de foie haché, exhaussé d’ail et d’oignon. Honteux, vraiment, de sa grand-mère ? « Or c’est tout le contraire », cette femme l’émeut comme personne et, quand il la voit devant le miroir se maquiller pour se faire belle, les traits accusant son âge avancé, « mon cœur se serre. Je l’imagine à vingt ans, dans un autre appartement, dans un autre pays, retournée face au même miroir sur sa propre silhouette, souriant à la ligne de ses mollets… [Alors] une tristesse me vient de très loin. Une tristesse qui me donne envie d’échanger avec elle ma jeunesse, pour lui donner une vie encore, une vraie vie, dans laquelle elle aurait quelqu’un d’autre qu’un enfant de dix ans pour veiller sur ses vieux jours. »

Si le bonheur de l’enfant tient dans le regard et les gestes de cette femme, c’est la tante fraîchement arrivée sur le lieu des vacances qui va gâcher la vie du jeune garçon. « Folle au corps grotesque livré à la vue des passants, gisant sur un transat, rouge et humide comme un fruit trop mûr », la tante, fumeuse invétérée, qui « sourit de toute la pourriture de ses dents », infeste d’une épouvantable tabagie la maison entière. Et fait honte à son neveu devant le regard interrogateur de Baptiste, heureux enfant d’une mère délicieuse et délicate qui s’est prise d’affection elle aussi pour le nouvel et tout jeune ami de la famille, garçon amoureux peut-être, admiratif assurément de cette femme et de « sa peau […] dorée comme du pain et ses cheveux blonds […] retenus en arrière par un serre-tête noir, comme son maillot de bain deux-pièces qui lui donne l’allure d’une star de cinéma. » Quel rêve de pouvoir être adopté par une telle maman, avec qui il ferait si bon vivre, et savourer enfin, à son tour, le calme bonheur qui entoure Baptiste, son frère d’âme !

Un jour ce sera vide est le portrait, baigné d’une prose mélancolique et poétique, d’un enfant lesté d’un lourd passé familial où « les survivants errent parmi les fantômes », un enfant à qui aurait été refusé comme un droit au bonheur et à l’insouciance. Hugo Lindenberg l’a dit lui-même, il est l’enfant de ce récit intime, poignant et magnifique, où, écrit-il, « ce qui compte, c’est de donner une forme à ma différence, une puissance à mes secrets ». Ce premier et grand roman vient d’être élu Livre Inter 2021 dès le premier tour de scrutin.

Un jour ce sera vide de Hugo Lindenberg, Christian-Bourgois éditeur, 20 août 2020, 173 p., ISBN 978.2.267.03267.3, prix : 16.50 euros.

Prix Le Temps retrouvé 2020.
Prix littéraire de la ville de Caen.
Prix Livre Inter 2021.
Prix Françoise Sagan 2021.

Jeu inspiré du livre Un jour ce sera vide.

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