Un week-end en famille de François Marchand, Cynisme lourdingue

« Au début, c’était juste un week-end en Samousse. Dans la famille de ma femme. […] Je venais de me marier avec Aurélie à Las Vegas, dans la foulée d’une perte monumentale au poker, en me disant qu’il valait mieux rassembler toutes les conneries possibles sur un seul jour ».

Voilà qui donne d’emblée le ton. Le narrateur est un Parisien fraîchement marié et désabusé de tout. Rien ne l’intéresse, tout l’irrite, même Aurélie, dont il est pourtant censé être amoureux. Que dire alors de sa famille, qu’il doit rencontrer !

D’abord, ces ploucs habitent au bout du monde, en Samousse, une région qu’on serait bien incapable de situer sur une carte. Et puis il s’avère qu’ils sont aussi bêtes et obtus que ce à quoi il s’attendait, voire plus encore… Les deux jours qui se profilent promettent d’être longs pour cet homme impulsif qui ne peut s’empêcher de donner son avis – négatif, s’entend – sur tout et sur tous. Il est, qui plus est, d’une agressivité verbale hallucinante et alterne exaltation forcée, comme folle, et moments dépressifs, carburant au Zolpidem et à l’alcool (un mélange pas vraiment conseillé).

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Une des rares choses qui m’a plu dans ce roman : sa couverture

Ce petit roman (tout juste 100 pages) est à double tranchant. Le lecteur ne pourra pas rester indifférent. Les amateurs de cynisme, de mauvaise foi et d’humour noir se délecteront du style ironique et des phrases acérées distillées dans le feu de l’action. Mais d’aucuns pourront trouver le procédé vite fatigant et ce type totalement barge absolument insupportable de suffisance et de mauvaise éducation pris dans son délire parano.

Si certains clichés sont assez drôles malgré tout, leur abondance fatigue rapidement. Jusqu’la dernière scène du roman située dans des bois : on frise carrément le grand Guignol. Que dire de plus de la jeune femme, qui semble être plus que blonde bête à manger du foin, soumise à son crétin de mari, et à qui on flanquerait bien quelques baffes pour la réveiller de sa léthargie et lui faire sortir trois phrases d’affilée (trois phrases qui veulent dire quelque chose).

Un week-end en famille de François Marchand, Le Cherche Midi (23 août 2012), 110 pages, 13€

Extrait

VENDREDI

Au début, c’était juste un week-end en Samouse. Dans la famille de ma femme. Je ne pouvais pas savoir que ça allait dégénérer à ce point. Nous sommes arrivés à Andouillé le vendredi, tard. J’étais fatigué, Aurélie aussi, mais il a bien fallu honorer la collation préparée à notre intention, d’autant que c’était la première fois que je rencontrais ma belle-famille. Je venais de me marier avec Aurélie à Las Vegas, dans la foulée d’une perte monumentale au poker, en me disant qu’il valait mieux rassembler toutes les conneries possibles sur un seul jour.
Mon beau-père fit tout pour me mettre à l’aise.
– Appelle-moi Maurice.
Je ne parvins pas à décourager sa familiarité :
– Tu peux me tutoyer, mon petit gars.
– Si vous voulez. L’ironie fut perdue.
– Bien sûr que je veux. Allez, reprends un petit coup de vin. C’est un cépage interdit : le jacquet. C’est le Jeanjean, du clos des Espinasses, qui le fabrique.
Maurice voulut très vite connaître notre itinéraire détaillé depuis la sortie de l’autoroute. Je fis alors connaissance avec le principal sujet de conversation de la vie de Samouse : l’itinéraire routier, avec force propositions d’amélioration.
– Vous avez pris par Ruillé-le-Gravelais ? Et alors, après La Baconnière, lorsque vous êtes tombés sur l’embranchement des trois crassiers, vous avez pris la première à droite ?
– Euh, sans doute… Enfin, l’important est que nous soyons parvenus à destination.
– Oui, mais c’est beaucoup plus long. Je te ferai un schéma pour la prochaine fois. A Mézangers, il faut prendre la D 456 jusqu’au bois des Terres-au-Curé, là, tu ne prends pas la route de Louvigné-du-Désert, tu vois ? Tu bifurques carrément, on a l’impression de s’éloigner, mais tu rejoins la grand-route de Clermont-du-Plessis.
Ma belle-mère, Solange, affairée tour à tour par la préparation et l’éviction des plats, n’avait pas tout entendu. Maurice la héla, pour la prendre à témoin de cette bonne blague : les Parisiens avaient pris par Ruillé-le-Gravelais au lieu de tout simplement emprunter le chemin du bois des Terres-au-Curé, si accueillant pourtant, en cette froide nuit d’hiver. C’était à se tordre ! L’hilarité fit place à la commisération lorsque Maurice aborda l’inévitable sujet de la supériorité de la vie en Samouse par rapport à Paris. Je dus admettre qu’effectivement la «qualité de vie» y était nettement supérieure, tout en me demandant comment les Samousiens parvenaient à échapper à l’idée de suicide le premier dimanche de pluie venu. Face à la crétinerie triomphante, j’ai une stratégie bien rodée, inspirée de la pratique du poker : je renchéris. Lorsque le type m’explique que Paris ne supporte pas la comparaison avec Andouillé, chef-lieu de canton de Samouse, 1280 habitants perdus au milieu d’une brume permanente et diabolique, je songe à la relance, et ce n’est pas un jeu intellectuel facile que de trouver un avantage plausible à habiter pareil endroit. Maurice mettait ma sagacité à rude épreuve. Finalement, je répondis :
– L’avantage, ce sont les vacances.

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