Les livres de Marc Pautrel sont des rencontres. En 2017, il nous a emmenés dans l’univers du peintre Chardin. Un an avant, c’est à Blaise Pascal que l’écrivain s’est attaché, dans les jeunes années de sa vie, dans la genèse de sa pensée scientifique et dans sa relation au monde, avant son illumination divine du 23 novembre 1654. Un texte sobre, prenant et magnifique sorti de la plume d’un écrivain original et (trop) discret.
Blaise Pascal a été éduqué par un père qui lui a appris à lire, à écrire, à comprendre le grec et le latin, laissant l’enfant découvrir seul le monde de la géométrie, du calcul et des nombres. Le père, lui-même mathématicien fervent, sait en effet « combien la science mathématique peut consumer la vie ». La mère de Blaise, délaissée par les passions scientifiques d’Étienne, son mari, mourra de solitude, dit-on, laissant dans le chagrin un époux qui se sentira coupable et un fils orphelin définitivement malheureux.
Le père est un ami de Gassendi, Fermat, Roberval, autant de savants esprits qu’il rencontre régulièrement et avec qui il discute passionnément. Un père qui admire aussi son fils, dont il perçoit qu’un jour il aura le génie de changer le monde.
Le fils accompagne le père dans ces échanges de haute volée. Blaise observe, écoute, retient. Un jour, Étienne, le père, ne peut participer à l’une de ces discussions. Avec son autorisation, le fils s’y rend et, libéré de la présence et du poids paternels, prend pour la première fois la parole. Au tableau noir, le tout jeune garçon explique à la docte assemblée, médusée, la fausseté de la démonstration qu’il vient d’entendre : « L’enfant a parlé et le monde a basculé, comme une porte secrète qui après qu’on a manipulé un levier dissimulé, se découpe dans le mur et ouvre à l’intérieur de la maison, une insoupçonnable et immense cavité, une grotte, un caveau, un monde caché sous le monde et si vaste que c’est le monde d’avant qui soudain n’est plus que la petite niche dans un recoin du nouvel univers. L’enfant de treize ans a enseigné les maîtres, il leur a signifié qui était leur Dieu ».
La vie du jeune Blaise Pascal se passera à découvrir, comprendre, expliquer. Une vie de fulgurances et de lumières. Une vie fragile aussi, une vie dans « un corps en lambeaux » qui le fera souffrir chaque jour que Dieu fait, et dont il oublie les faiblesses dès qu’il se met à penser, calculer, démontrer : « Quand il explique, quand il répond aux questions, retourne les objections, court dans le grand labyrinthe dont il semble soudain l’auteur, il sourit. Il rit. Il est heureux au milieu de formules, il semble évoluer parmi ses amis les chiffres, les schémas, les lettres, les figures, triangles, rectangles, cercles, ellipses. On dirait que c’est Blaise qui donne naissance à ces êtres abstraits, qu’il crée seul les mathématiques ».
Le jeune Blaise sera inventeur, créateur de la première machine à calculer pour aider son père, « commissaire de la Taille », autrement dit collecteur d’impôts. Il sera aussi découvreur. Dans une expérience de physique appliquée au sommet du puy de Dôme, il démontrera ce qu’est la pression atmosphérique. Il sera mathématicien de génie en posant les bases du calcul des probabilités pour comprendre et théoriser le hasard. Pour Blaise, tout s’explique « dans l’apparent désordre du monde » et rien ne doit lui échapper. Peu à peu, « il connaît tout sur tout […]. Les réponses s’additionnent, le brouillard se dissipe […]. Il se prouve sans cesse qu’il accumule du pouvoir sur le monde, qu’il peut devenir un demi-dieu ».
Dieu, précisément, va bientôt être « son nouveau défi ». Et son nouveau ciel. Un grave accident de carrosse sur un pont de la Seine, bien près de lui coûter la vie, sera le moment décisif qui le bouleversera. Gravement atteint, il sortira d’un coma de deux semaines : « Il n’y avait plus que la mort qu’il ne connaissait pas et à présent il l’a effleurée ». Alors « sa vie commence à lui échapper […], un brasier délicieux envahira son être ». Ce sera le prélude à l’illumination mystique, sa fameuse nuit de feu et de conversion de 1654, où il jettera sur le parchemin les mots du Mémorial, fulgurants, extatiques, dans l’élan de la parole biblique et la lumière de Dieu : « Pascal écrit, il note à grande vitesse ce qu’il a vécu, les versets de la Bible, Feu, la langue vivante, le fleuve des mots français, éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre, il n’y a rien d’autre à ajouter. Il a commencé ces lignes par la date du jour, l’an de grâce 1654, lundi 23 novembre. Il termine par le seul mot qui lui vienne à l’esprit pour dire Fin : Amen ».
Une jeunesse s’achève, s’ouvre une autre vie…
Une jeunesse de Blaise Pascal, janvier 2016, 96 pages, 12 €
Ecrivain(s): Marc Pautrel Edition: Gallimard
96 pages, 12 €
Janvier 2016
ISBN 9782070177837
Prix Henri de Régnier de l’Académie française 2016
Lire un extrait ici.
« Il regarde la grande roue tourner et donner un sens à l’eau, il a la bizarre sensation qu’il est lui-même devenu à la fois la roue et l’eau, comme le fruit d’une inéluctable union, il est en même temps l’artisan et l’outil. Parce que ses questions sont immenses et que toujours il voudra découvrir le lieu où vont se cacher les morts, ses découvertes elles aussi sont devenues immenses. »