Cinq années ont passé depuis Les Lisières. Paul, le double fictionnel d’Olivier Adam, à 45 ans quitte Paris pour revenir en Bretagne espérant retrouver un sens à sa vie. Des séismes personnels l’attendent. Un nouveau roman puissant qui raconte notre société et nos vies.
Bon sang c’est quoi ce bazar ? C’est quoi cette vie ? Il y a des moments comme cela au cours d’une existence où tout semble partir en quenouille, où tout se dérègle, où tout ce que l’on a construit, dissimulé, fout le camp, revient à la surface. C’est ce moment particulier qui frappe de plein fouet Paul Lerner.
Il prend en quelques jours plusieurs déflagrations simultanées : une jeune femme le suit pour lui avouer qu’elle est sa demi-soeur, son meilleur ami décède et il découvre une vie parallèle à son épouse. Cela fait beaucoup pour un seul homme, âgé de 45 ans, ancien écrivain à succès en train de tomber dans l’oubli, revenu en Bretagne, après un séjour parisien de 5 ans et espérant se refaire à cette occasion une nouvelle vie.
On le connait en plus ce Paul Lerner, c’est cet homme qui retourne voir les « Falaises » à Étretat où sa mère s’est jetée auparavant, c’est aussi Paul, écrivain de 40 ans des Lisières qui revient dans une banlieue pavillonnaire retrouver ses parents vieillissants. C’est un des doubles d’Olivier Adam, celui qui mélange, pour nous perdre, des éléments réels de sa vie et ceux d’un personnage imaginé. Celui qui en fait, en partageant ses sentiments de tous les jours, nous renvoie notre image dans un miroir d’autant plus réel et fidèle qu’il reflète notre monde, celui des attentats, de la montée du racisme, de notre solitude dans un univers connecté, de nos difficultés à perdre nos enfants devenus adolescents.
Des poncifs? Peut être mais le talent d’Olivier Adam est de faire de ce quotidien une oeuvre originale qui nous donne à mieux comprendre nos maux, nos difficultés à vivre, simplement parce que lui, ou Paul, prennent en charge toutes nos névroses, nos peurs. Ce n’est pas un caïd, un fier à bras, ce Paul. Plutôt un être qui a du mal à communiquer avec ses proches, ses collègues,et même ses amis.
Paul ignorait ce qu’il craignait au juste. Les autres sans doute. Et lui même. (…). Il voulait être considéré et être invisible. Il voulait qu’on l’aime et ne supportait pas qu’on le fasse. Il voulait vivre seul et au milieu des autres. Il voulait disparaître et qu’on s’en aperçoive (…)
Pas simple mais tellement vrai. C’est ainsi. Tous les cinq ans Olivier Adam dresse le bilan de questionnements et des événements de sa propre vie.
Et comme à chaque fois, cette introspection s’accompagne d’un oeil aiguisé sur notre société et son évolution. Une forme moderne de comédie humaine qui en dit plus long que des centaines de pages de magazines ou de journaux . Cela doit être probablement ce que l’on appelle « sentir l’air du temps ». Les allers-retours Bretagne-Paris permettent d’explorer deux univers: celui des bourgeois bohême d’abord, ces fameux Bobo, avec lesquels Paul-Olivier a travaillé. L’univers de l’édition, du cinéma, des expositions, de la culture dévorée presque au quotidien. Celui de la province ensuite, en l’occurrence Saint-Lunaire, Dinard, Saint Malo, des balades sur les plages, du retour à la nature. Deux mondes qui se télescopent, comme si en changer pouvait raccommoder une vie bien abîmée. Evidemment on préfère Olivier Adam quand, d’un style fluide, il décrit les rochers, la côte, la pluie et les nuages qui reviennent sans cesse comme un symbole du quotidien. Mais il est trop lucide, et trop honnête pour en faire un paradis. Il manie à la perfection une autodérision salutaire, y compris dans sa vie familiale que secoue son épouse et une fille en train de quitter l’adolescence. Il faut négocier car l’existence est
– un sacré sac de noeuds, un putain de sport de rue et Paul acquiesça.
– Sûr c’est pas du badminton », comme le chante Alain Chamfort.
L’écrivain sait user du romanesque en mêlant habilement vrai et faux, biographie et roman, mensonges et vérités comme le témoignage de Claire, prétendue demi-soeur de Paul et prénom du personnage féminin du premier roman d’Olivier Adam, Je vais bien ne t’en fais pas. On se laisse entraîner avec plaisir dans ce labyrinthe et le récit réserve son lot de surprises avec une fin remarquable qui laisse le soin au lecteur de savoir si Paul va gagner cette fameuse partie de badminton ou comme le dit Olivier Adam, s’il va falloir négocier avec « la loi de l’emmerdement maximum ».
Cinq ans c’est long, mais c’est probablement le temps qu’il va falloir pour que, Paul ou Olivier, apprennent encore et toujours à vivre pour nous raconter notre société et nos vies. Cinq ans le temps nécessaire pour écrire un nouveau et magnifique roman. Paul et Olivier auront alors 50 ans. Cinquante ans au fait c’est le temps de quoi ?