Le procès en cour martiale du soldat américain Bradley Manning s’ouvre. Ce dernier est accusé d’avoir divulgué des informations à Wikileaks. Quelles informations ? Les fameux 260 000 câbles internes de la diplomatie américaine. Mais le pire pourrait être la divulgation de la vidéo « Collateral Murder » dont se serait vanté cet analyste militaire.
Cette vidéo donne à voir voir la bavure d’un hélicoptère américain qui tire sur un groupe de civils en Irak. Parmi les 18 morts, on trouve deux journalistes de Reuters : Saeed Chmagh et Namir Noor-Eldin. Outre la bavure, le déroulement de l’opération révèle de graves dysfonctionnements de l’armée américaine en Irak, lesquels ne vont pas sans répercussions. De fait, Bradley Manning avait séjourné en Irak en 2009, soit dans la période où cet « incident » eut lieu. La découverte de cette vidéo semble avoir fini de le convaincre des manipulations et des mensonges entretenus autour de cette guerre.
Dénoncé par un soi-disant pirate (en réalité, plus proche du petit escroc), Bradley Manning aurait reconnu avoir diffusé les transmissions de la diplomatie américaine. Il est retenu en détention dans le plus grand secret depuis juin 2012, l’ONU a divulgué qu’il avait été sujet à des maltraitances des plus cruelles. Il encourt 52 ans de prison sur 8 chefs d’inculpation. Pendant ces 2 ans, personne n’a pu lui parler.
Le cas Bradley Manning est monté en épingle, faisant de lui un symbole de la défense de la démocratie. Comme toujours, rien n’est blanc ou noir et la personnalité de Manning est aussi trouble ; son comportement ayant été certainement affecté par son expérience de la guerre.
La divulgation de câbles diplomatiques ne peut être ni louée, ni à bannir. Elle est liée à une économie de l’information conditionnée par de nombreux facteurs, notamment contextuels. Ainsi, d’un côté, il est louable de divulguer les manipulations de la vérité, les mensonges qui affectent la vie de milliers d’innocents, comme c’est le cas dans cette guerre. De l’autre, la divulgation d’informations susceptibles de mettre en danger des processus de paix ou des négociations est préjudiciable. Problème : Manning, tout seul dans son coin, n’était pas en mesure d’opérer le tri nécessaire dans des informations si complexes.
Avec Wikileaks et sa divulgation « filtrée » par de grands noms de la presse, nous avons vu que justement la liberté d’informer a été mise en danger. Manning n’est qu’un modeste rouage dans la diffusion d’informations, mais, sans lui, nous en saurions beaucoup moins sur les mensonges d’État qui entachent non seulement le conflit irakien, mais bien d’autres encore. Il est comme les informateurs du Watergate (le fameux DeepThroat) ou de l’Irangate qui, eux, ne se sont jamais fait prendre. Wikileaks n’a pas eu la même manière de divulguer les informations que Bob Woodward et Carl Bernstein et c’est sans doute là qu’il y aurait à redire.
Toutefois, la justice militaire américaine est confrontée à un dilemme. Elle ne peut tolérer que des informations classées secret-defense fuitent. De ce fait, Manning est sûr d’être condamné pour au moins un chef d’accusation : la divulgation d’informations militaires. Pour autant, étant donné que son action a eu un impact non négligeable sur l’engagement américain en Irak, il a contribué indirectement à sauver des vies et réviser la politique américaine relative à la population locale.
Un processus identique s’est enclenché avec les photos de torture et d’humiliation prises dans la prison d’Abou Grhaib. Dans ce dernier cas, les informations avaient fuité mystérieusement dans la population irakienne en créant un ressentiment et des émeutes violents. Le département d’État avait dès lors été contraint d’informer les médias et de procéder à des mises à pied de quelques boucs-émissaires pour la bonne forme.
Que se serait-il passé sans le chapitre Bradley Manning ? Voilà la vraie question. Elle n’apparaîtra certainement pas dans ce procès en cour martiale.
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