Emmanuel Carrère fait d’un procès antiterroriste de plus de neuf mois un récit passionnant, haletant. Et profondément humain. V13, aux éditions P.O.L : un livre majeur de la rentrée.
V13, une abréviation comme un nom de code réservé aux initiés embarqués ensemble pour neuf mois sur le « paquebot » d’un procès, celui des attentats du vendredi 13 novembre 2015. Le procès du Bataclan mais aussi celui des terrasses, du Stade de France, rappel complet indispensable pour ne pas hiérarchiser l’horreur. Emmanuel Carrère fait partie des journalistes qui, pendant le temps d’un accouchement, vont suspendre leurs vies, cinq jours sur sept, aux séances d’un tribunal installé là, pense t-on au début, pour l’Histoire, pour démontrer la force et la vivacité d’une démocratie sur l’obscurantisme et le totalitarisme. Contrairement à ce qu’il appelle les « journalistes-touristes » qui ne viendront qu’occasionnellement pour les moments médiatiquement forts, comme la venue à la barre de François Hollande, l’écrivain va suivre l‘intégralité du procès y compris les moments ennuyeux, ceux des répétitions, des maladresses orales. Des moments « faibles » qu’il ose nommer redonnant ainsi à la justice son caractère profondément humain, très éloigné d’une grande messe sacralisée (la salle d’audience ressemble à une église constate t-il) et phagocytée par des rites.
Qui, quoi peut pousser une personne à côtoyer ainsi volontairement l’horreur pendant des semaines ? Yannick Haenel s’interrogeait déjà lors du procès des attentats de Charlie (1) privilégiant la recherche de ce que pouvait être une définition de la Justice et la compréhension d’individus a priori sans empathie humaine. D’entrée Emmanuel Carrère, qui a manifesté dans nombre de ses ouvrages un goût certain pour les affaires judiciaires (L’Adversaire, Limonov) et la religion (Le Royaume), se pose les mêmes questions, des questions que l’on peut renvoyer au lecteur lui même : pourquoi avoir envie de lire ce type d’ouvrage ? Et les réponses se multiplient.
Peut être pour atteindre une dimension humaine inconnue dans la vie « ordinaire » comme celle d’un simple regard envers un tueur, un regard qui fait que celui ci vous épargne ? Ou plus simplement pour comprendre, même si comme l’a dit Manuel Valls à l’époque « comprendre c’est déjà excuser », une affirmation que réfute Emmanuel Carrère ? Mais encore pour ressentir l’humanité des personnes qui ne savent pas qu’elles vont mourir dans quelques heures et dont on cherche le souvenir dans les derniers moments passés ensemble ?
Tout cela certainement mais aussi probablement l’empathie, l’envie de partager une émotion car Emmanuel Carrère comme à son habitude fait de ces centaines d’heures un récit fluide, humain, avec la bonne distance, ni trop près, un partage que les absents ne pourront jamais saisir totalement, ni trop loin, une neutralité documentaire sans empathie. Il lui arrive de porter des jugements, de mentionner son opinion mais sans ostentation, laissant au lecteur le soin de conclure.
Il suit à la lettre sa définition d’un procès: « C’est cela, ou cela devrait être ça un procès : au début on dépose la souffrance, à la fin on rend la justice ». La souffrance c’est celle des victimes qui précède l’audition des accusés avant le rendu de la Cour. Enrichies d’un tiers de textes supplémentaires, les chroniques hebdomadaires parues dans l’Obs prennent ainsi le recul du temps. Le livre devient pédagogue, expliquant par exemple l’échelle des compensations financières, triviales en apparence et qui posent de nombreuses questions éthiques et philosophiques, « Le prix des larmes ». L’écrivain journaliste nous accompagne, nous explique, nous montre. Il écrit comme si il parlait du bout des lèvres. Il transmet.
Le livre d’Emmanuel Carrère est de ceux qu’on reprend, qu’on annote, complète parce que l’on a l’impression de pénétrer les tréfonds de l’âme humaine, cette âme qui nous distingue des autres animaux terrestres mais qui peut aussi se résumer à la terrible et violente constatation d’avoir affaire à un accusé simple « tête à claque ». Un constat sans lyrisme mais tellement vrai.
Finalement, contrairement à l’énoncé du début, ce procès fut tout autre chose qu’un moment d’Histoire, « avec une Hache », comme l’écrivait Pérec. Il est et restera « une expérience unique d’effroi, de pitié, de proximité, de présence ». Effroi, pitié, proximité, présence quatre mots qui disent pourquoi il est indispensable de lire Emmanuel Carrère.
V13 de Emmanuel Carrère. Éditions POL. 364 Pages. 22€.
L’ouvrage reprend des chroniques quotidiennes parues dans L’Obs augmentée d’environ un tiers de textes nouveaux.
- « Janvier 2015. Le procès » de Yannick Haenel et François Boucq. Editions Charlie Hebdo. Les Echappés.
La parution de V13 coïncide avec la sortie du très beau film « Revoir Paris » de Alice Winocour avec Virginie Efira et Benoit Magimel. Positif dans sa conclusion ce film s’entrecroise avec les témoignages des victimes lors du procès.
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