Valls, Hollande, Ayrault > L’art de l’évitement

Le parti socialiste avait promis un grand changement ! Changement, progrès, espoir – un vocabulaire risqué tant il est de nos jours galvaudé. De fait, à en croire les sondages, il semble que les électeurs déchantent et attendent un autre… changement. À croire que l’exercice du pouvoir change l’homme. Coup de projecteur sur l’évitement dans l’exercice du pouvoir à travers le parcours de Manuel Valls et le tandem Hollande-Ayrault.

Jeune militant issu de l’immigration, Manuel Valls s’inscrit à un syndicat étudiant et se fait rapidement une place au PS. À Argenteuil, il devint le chef local et réussit à précipiter la chute du PC au profit de l’UMP. C’est au Conseil régional qu’il attendra de trouver un fief plus clément. Le pouvoir, c’est finalement bien loin du Val d’Oise qu’il y touchera : à Évry.

Dès lors, il côtoie l’autorité morale socialiste qu’est Rocard avant de se rapprocher du post-trostskyste pro-privatisation Jospin puis de converger vers une Royal sous les feux de la rampe. En parallèle, il travaille à sa visibilité dans les allées des cabinets ministériels et par des soutiens parfois contestés – on pense notamment à Alain Bauer, ancien Grand Maître du Grand Orient de France institué mentor de la sécurité nationale dans des ministères de gauche comme de droite. C’est l’occasion de remarquer qu’après vingt ans de lobbying, les méthodes de gestion de la sécurité de Bauer ne semblent guère avoir porté de fruit…

Manuel Valls se prononce tantôt pour le vote des étrangers tantôt contre. Même chose pour la Constitution européenne. Ces changements sont-ils les conséquences d’évolutions politiques personnelles ou simplement dictés par l’air ambiant et le souhait de se forger une différence ? Chez nombre de politiciens, l’exercice du pouvoir conduit à renier ses idéaux pour son idéal : obtenir le pouvoir. Est-ce le cas de Valls ?

De gauche par certains aspects, centriste et de droite pour d’autres, une demande à ses collaborateurs en juin 2009 sur le marché de sa Ville créa un léger malaise : « Belle image de la ville d’Évry… Allez, mets-y quelques blancs, quelques white, quelques blancos… » Une réprimande des instances du PS, mais sans conséquence. Et dès que Royal n’a plus le vent en poupe, il s’éloigne d’elle.

Au vu de ce parcours, lorsque les autorités arrêtent et extradent en Espagne la militante basque Aurore Martin qui a commis pour seul crime d’être pro-Batasuna et que Manuel Valls affirme qu’il n’est pour rien dans cette affaire, la suspicion enfle. C’est effectivement une simple application d’une décision de justice. Mais pourquoi d’autres décisions ne sont-elles pas appliquées ? Par exemple, dans l’affaire Lee Zeitouni, les deux Français présumés coupables d’homicides n’ont pas été extradés. La réglementation européenne du Mandat d’arrêt semble avoir le dos bien large.

Au final, entre Guéant qui souhaitait arrêter Aurore Martin en 2011 et Valls qui ne souhaite pas empêcher qu’on l’arrête en 2012, le changement est de pure apparence. Et c’est peut-être pour cela que Valls est le ministre préféré des Français, car il incarne quasi officiellement une nouvelle génération d’hommes politiques à la fois de gauche et de droite, si tant est que cette division éculée signifie encore quelque chose une fois mis de côté les intérêts clientélistes.

Pure apparence, il en va de même avec la politique économique du gouvernement Ayrault qui n’ose ni réglementer les banques pas plus qu’il ne mettra en oeuvre le tant attendu rapport Gallois – lequel, comme tant d’autres rapports qui ont coûté des millions d’euros, est mort-né. La politique énergétique actuelle illustre également cette veine générale : commander des rapports dont certaines idées pertinentes sont retenues par le gouvernement puis traduites en décisions aussi incompréhensibles qu’inapplicables pour que rien ne bouge. Le gouvernement Ayrault cultive l’art de l’évitement.

Pour masquer cet artifice conservateur, il y a la sainte et perfide communication. Pour éviter que les Français demandent à leurs édiles de véritables solutions à des problèmes bien réels, il suffit de déplacer les moments, dérouter les sédimentations de réflexion et les embryons d’idées nouvelles. Ainsi, une bonne manière de détourner le débat nécessaire et capital autour des Finances publiques consiste à agiter le projet de loi sur le mariage homosexuel ; presque tout le monde, quel que soit son point de vue sur la question, s’y jette à bras raccourcis. Bien joué.

Si ce n’est que ces techniques bien rodées sous l’ère Sarkozy sont utilisées en ce début de quinquennat Hollande avec des ficelles trop grosses. En fait, en France, comme l’a démontré Mitterrand dans les pas du général de Gaulle, seul un visionnaire de droite parvient à encadrer avec succès un gouvernement dit de gauche. De son côté, le tandem Hollande-Ayrault peine à faire oublier la promesse de changement annoncée depuis 2007 aux Français.

En aurait-il fait trop ? Manifestement les Français refusent de passer l’éponge de l’oubli dans un temps de crise où l’hiver – au sens propre et figuré – menace  la France. Changement, mot vide de réalité au regard d’un exercice du pouvoir sans inventivité et dont les marges de manœuvre s’automutilent pour ne pas prendre le risque d’un véritable changement. Le personnel français régnant aurait bien besoin d’un choc de compétitivité.

Didier A. et Nicolas Roberti

 

 

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