Entretien avec l’équipe de taggeur rennais VH

Entretien avec le célèbre crew (équipe) de taggeurs rennais VH

Unidivers : On reçoit ce soir le collectif de graffeurs VH, notamment avec son fondateur, dont on taira le nom pour des raisons de confidentialité, qui se comprennent bien eu égard à la loi, et un de ses proches, qui fait parti du collectif depuis quasiment le début, mais qui lui-même tague depuis une quinzaine d’années.
La première question que l’on va vous poser pour nos lecteurs, que faites-vous ? Qu’est-ce que c’est qu’on appelle graff, tag ? C’est une pratique artistique ? Une pratique urbaine ?

VH : Une pratique artistique. Déjà cette question-là. J’ai du mal à répondre quand on me demande si je me considère comme un artiste ou pas. Je ne sais pas. Je ne fais pas ça pour me donner une image. Se prétendre artiste, c’est un peu prétentieux je trouve. Je pense que c’est plus aux gens qui regardent notre travail, qui apprécient plus ou moins, de dire si c’est de l’art ou pas. Personnellement, je fais ça un peu par habitude maintenant, mais pas dans le but de me considérer comme artiste, ou comme vandale. Je fais du graffiti, c’est tout.

Unidivers : C’est quoi le graffiti ?

VH : Le graffiti, c’est déjà peindre dans la rue. Ensuite, c’est peindre librement, sans avoir de règle imposée. Pour moi c’est cela le graffiti.

Unidivers : Qu’est-ce qui vous motive ? Pourquoi avez-vous envie de peindre dans la rue ?

VH : Parce que quelque part, on a la rage. Tout simplement. On a un peu la haine, par rapport à plein de trucs. C’est une manière de se défouler. C’est pour ça que, comme dirait un de nos proches, on ne va pas mieux s’endormir sachant qu’on est artiste ou autre. Pour nous.

Unidivers : C’est l’action, c’est le fait de faire que vous aimez ?

VH : Voilà. C’est la pratique en elle-même. Des fois, on ne sait même pas ce que l’on fait, pour te dire. On est en train de faire, mais on ne sait pas ce que l’on fait.
-Le fait de faire ça, ça me permet d’être quelqu’un de plutôt sociable et sympathique dans la vie de tous les jours. Finalement, si je ne faisais pas ça je pense que je serai un connard (?). Je serai con et pas forcément agréable. Quand je commence à en avoir marre, du taf par exemple, quand j’ai des soucis d’argent à la fin du mois, toutes ces choses qui prennent la tête, je vais taguer un peu. Après, ça coule plus doucement.

Unidivers : Ça te libère en somme ?

VH : Oui, ça me calme.

Undivers : Combien êtes-vous dans VH ? À peu près neuf, dix personnes ?

VH :  Oui, voilà.

Unidivers : Est ce que vous faites, à neuf ou dix, des réalisations ? Ou est-ce une technique personnelle comme tu le disais : « je sors, j’ai besoin de me défouler, je trouve un endroit, je sors ma bombe et j’y vais » ? Ou cela peut être vraiment quelque chose de pensé, où vous vous retrouvez ensemble et vous vous dites :  « j’ai trouvé un spot super. À mon avis on pourrait faire cela…» et vous réfléchissez à ce que vous pourriez faire dessus ?

VH : On part sur une idée, la plupart du temps en impro. Juste avant, tu nous demandais pourquoi on faisait ça. D’abord parce ce qu’on trouve ça beau, tout simplement. Après, on a nos préférences, des supports que l’on préfère, comme le train par exemple.

Unidivers : Et pourquoi le train ? Par ce que c’est mobile ?

VH : Voilà. Après, il y a deux styles de train : il y a les frets, les trains de marchandises. Sur ceux-là, les graffs, ils ne les effacent pas. Ça reste. C’est de la bâche, de la toile, du métal, ça reste. Et il y a les trains de voyageurs, qui demandent plus de risques, qui sont nettoyés, mais qui sont visibles, quand ils arrivent en gare. Ça met la pression, tu vois ton nom dessus. Mais ça ne circule pas, c’est juste pour le délire, le kiff du moment.

— C’est un peu le challenge.

— Oui, c’est ça. Est-ce que tu vas réussir à la faire ? C’est un peu comme un braquage.

Unidivers : Le bonheur pour vous c’est qu’un train de voyageurs arrive en gare et que votre graff n’ait pas été effacé ?

VH : Oui. De toute façon, il n’est pas effacé dans la minute. Il fait au moins un ou deux aller-retour et après il est effacé dans la journée.

— Moi au final, je suis plus du côté des trains de marchandises.

Unidivers : Parce que ça dure dans le temps ? Parce que ça se promène, que ça promène ton œuvre à travers l’espace ?

VH : Oui, c’est un peu ça. Ça n’est pas forcément nettoyé. Donc des fois, tu peux faire un train et ton train il va rouler pendant 10 ans. Il va aller partout en France et même, des fois, il va aller dans d’autres pays d’Europe. Tu vas faire un wagon de fret, un wagon de train de marchandises, et parfois retomber dessus dix ans après. Ou retomber sur une photo qui a été prise, ton graff il a vieilli, il a vécu.

— Tu peux te retrouver deux mois après, dans une autre ville, et trouver ton graff sur un train. Ça voyage.

— Oui, les rames, elles changent. Tu peux avoir ton pote qui te dit : « J’étais à Lyon ce week-end. En gare, j’ai vu ton fret, que t’as fait l’année dernière ». Et même en tant que support, c’est marrant, c’est assez beau je trouve.

Unidivers : Donc vous êtes attachés à votre œuvre ?

VH : Quelque part oui, bien sûr.

Unidivers : Est-ce que vous acceptez qu’un autre tagueur vienne taguer votre propre tag ?

VH : Non.

Unidvers : La mairie de Rennes a essayé quelque peu de canaliser ce mouvement, dont vous faites partie, notamment avec le CRIJ, en essayant de faire des espaces un peu contrôlés et encadrés. Qu’est ce que vous en pensez ?

VH : On a fait un boycott.
— En gros, il aurait fallu qu’il n’y ait personne à aller poser sur ces murs-là. Ils auraient compris ce que c’est le graffiti. Après, on n’a pas à leur faire la morale, mais si personne n’était allé poser sur ces murs-là, ils se seraient posé plus de questions. Ils se seraient rendu compte qu’ils ne connaissent pas bien le sujet. Ils ne maîtrisent pas tout.

Unidivers : Il faut comprendre leur point de vue, qui est de dire : « Il y a des énergies qui se défoulent un peu à droite à gauche. En tant que responsable de l’autorité et de la paix publiques, on essaye un petit peu d’encadrer ces énergies, donc on essaye un peu de les orienter ». Après, on peut aussi tout à fait comprendre votre point de vue qui est : « On n’a précisément pas envie d’encadrer nos énergies parce que c’est quelque chose que l’on fait comme ça, on a envie, on y va ».
On en arrive à la question : Est ce que vous acceptez que des gens puissent considérer que ce que vous faites ou n’est pas beau, ou ne devrait pas être…

VH :  Bien sûr, absolument. Mais ce qu’ils veulent, pour en revenir au CRIJ, ce qui est bien, si par exemple tu prends un jeune de seize-dix-sept ans, qui voit des murs sur lesquels il peut aller peindre, je le comprends. Même moi si cela se trouve, je serais allé peindre sur ces murs-là étant plus jeune. Mais on est des mecs de la Old School, même si on est jeune, on a grandi avec cette mentalité. Alors ça ne pourrait même pas se faire. Il y a dix ans, ça n’aurait jamais pu exister. Ça évolue. Pour qui veut aller s’entrainer, c’est un bon truc.

— Ce que je voulais dire par rapport à ça, comme je te disais toute à l’heure, je ne vais pas peindre là dessus parce que cela va mettre dans une routine, de peindre toujours sur les mêmes murs : Je fais ma pièce, deux jours ou une semaine après, quelqu’un va repeindre par dessus, ça n’est pas mon délire. Et je trouve ça dommage, aujourd’hui, que les jeunes qui commencent le graffiti commencent par aller peindre là-dessus. Quand j’étais jeune et que j’ai commencé à graffer, il a fallu que je me débrouille vraiment pour trouver des endroits où aller peindre. Au début, je m’entrainais sous des ponts de rocades ou dans des endroits plus ou moins abandonnés. Et tout ça rentrait dans une démarche : si tu voulais faire du graffiti, il fallait se bouger, pour trouver des endroits, prendre des risques, ça faisait partie du graffiti. Il fallait aller dans des squats, des fois dangereux, où il y avait des drogués, des squatteurs. Le mec du Celtic qui te coursait avec une machette si tu allais dans la salle qu’il s’était réservée. Je me souviens : j’allais tout seul dans des squats, je tombais sur des mecs qui cherchaient à m’embrouiller. J’étais tout seul et il y avait un autre groupe de cinq ou six mecs qui arrivaient, qui me mettait la pression pour essayer de prendre mes bombes, fallait se défendre.
— De toute façon, ça ne donne même pas envie d’aller peindre sur ces murs. À l’époque, il y a dix ans, à Rennes, il y avait les abattoirs, c’était un musée à ciel ouvert. Il y avait du respect, tu le sentais. Tu ne repassais pas n’importe comment…
— Si tu repassais quelqu’un, tu le repassais bien. Il y avait de la compétition, il y avait un truc. Ça n’est plus ça aujourd’hui.
— Aujourd’hui, tu vois des trucs… Tu fais un graff et deux secondes après il y a un mec qui va venir par dessus.
— Je vais citer un nom « Azote », parce que récemment j’ai vu un de ces graffs qui avait été défait. Un mec qui est arrivé et qui a fait un poisson en 3D par dessus. Il n’était pas ignorant, il savait ce qu’il faisait. Tu fais ça aujourd’hui, mais il y a rien que sept ans, tout le monde se serait mêlé de l’affaire. Ils auraient trouvé le gars. Et à chaque fois qu’il aurait voulu peindre, il se serait fait voler ses bombes. Maintenant, ils font un graff, ils le mettent sur Facebook : voilà, regardes mon graff. C’est-à-dire que toi qui passes dans la rue, tu n’as même pas encore vu le graff qu’il est déjà sur internet. C’est du grand n’importe quoi. Nous on fait des graffs pour que ça soit vu dans la rue. On parle de nous dans la rue. On s’en fiche d’internet.

Unidivers : Pour en revenir aux origines de votre collectif, d’où vous est venue l’idée de vous rassembler ?

VH : Ça s’est fait naturellement.
— C’est des rencontres.
— Par exemple, tous les deux, on s’est rencontré dans un squat à Celtic. Il y a des affinités qui se font.
— On s’est mutuellement engrainé à créer le style VH, à faire des phrases, des trucs un peu débiles, ironiques et tout… On s’est toujours un peu boosté tous les deux: il faisait un truc un peu drôle, je le voyais et ça me donnait envie de faire pareil. Je rebondissais sur un autre truc et ça s’enchainait comme ça.
— Ça s’est enchainé sur les murs. Même si chacun a son propre style, avec les couleurs, etc, ça fait quelque chose en commun qui passe bien.

Unidivers : D’une manière individuelle, vous préférez taguer, graffer tout seul ou plutôt en groupe ?

VH : Ça dépend. Il y a les deux.
— Des fois, j’ai besoin de peindre tout seul et d’autres fois j’ai besoin de peindre avec mes potes.
— Tu passes un bon moment, tu prends ta photo et tu regardes ta photo cinq ans après, tu te souviens de la journée que tu as passée, combien tu as déliré. Ça te rappelle une période et autant, des fois, tu as une idée qui va te parler, ça va être plus personnel donc tu vas le faire tout seul.

Unidivers : C’est un peu comme un journal intime en fait…

VH : Oui, un peu. Je n’avais jamais pensé à ça.

Unidivers : Un peu comme ces gens qui, le soir, l’ouvrent et racontent ce qu’ils ont fait, c’est un peu un journal intime ce que vous faites, sauf que des fois, vous le faites à plusieurs.

VH : La rue même est un journal intime, c’est ce qu’on essaye de faire : être partout dans la rue. Dans le graffiti, il y a le tag et le flop et après il y a les graffs. Le tag et le flop, c’est quelque chose que tu dois faire tout les temps, dès que tu as un moment. Après, tu peux faire des sorties, à plusieurs, où tu fais des tags partout et là, ça met la pression : parce que s’il y en a deux sur un trottoir et deux sur un autre, la rue, elle est tuée. Ça, c’est ce qu’on a fait beaucoup, de 2003 à 2005, tous les week-ends. Tous les samedi de l’année. Sans compter les autres jours.
— Sans compter les autres jours où l’on faisait des sorties chacun de notre côté.
— Lui, c’était un ouf ! Il faisait des graffs la semaine, il avait son permis, et sa spécialité, c’était les chromes. Il ne faisait qu’argent et chrome. Et après 2005, on a commencé à faire plus de graffs, à bouger un peu partout. On faisait de la voie ferrée (on en a toujours fait). La voie ferrée c’est…
En 2006-2007, on a commencé à travailler les phrases.
— On est revenu un peu en arrière. Je me souviens de la période où tu avais tes cahiers A4 et où tu faisais plein de flops, c’est là où  j’ai commencé à te suivre, et se sont mis à faire des mots, des phrases, des trucs à thème.
— On ne mettait même plus notre blase, on mettait autre chose.

Unidivers : On va passer maintenant à la question de la loi : comment cela se passe-t-il, votre rapport avec l’Autorité, et notamment ce qui est un peu un jeu de chiens et chats avec la police…

VH : C’est cela. Un jeu de chiens et chats.
— Le tout, c’est de ne pas se faire prendre, de ne pas laisser d’indice, de preuve, de faire attention à qui tu parles. Tu ne peux pas en parler à tout le monde.

Unidivers : Et qu’est ce que vous encourez légalement ? Des amendes ?…

VH : On ne sait pas, parce qu’on ne s’est jamais fait chopper.

Unidivers : Tu parlais d’une personne que tu as connue qui est en prison…

VH : Ah oui, on a connu des petites galères.
— Tu peux prendre des amendes…

Unidivers : Il s’agit de sursit j’imagine ?

VH : Tu peux prendre du ferme.
— Les gens croient que c’est du Street Art, tout ça…

Unidivers : C’est quoi la différence entre le graff et le street Art ?

VH : Ce n’est pas la question là. Par rapport à l’Autorité, moi, ce qui me ferait chier, c’est qu’un de mes frères qui se fasse chopper.
— Il faut faire attention. Je fais attention, pour ne pas faire souffrir les gens qui m’entourent.

Unidivers : D’accord. Et donc la différence entre graff et street Art ?

VH : Le Street Art, je n’ai jamais vraiment compris ce que c’était. C’est un terme qui est apparu il y a trois ou quatre ans. L’image que j’en ai, c’est que le « graffiti » était un mot péjoratif, et une certaine élite a compris que cela commençait à valoir quelque chose et il y a ce mot qui est arrivé « Street Art », qui faisait beaucoup plus tendance.

Unidivers : Vous voulez dire que c’est une récupération ?

VH : Oui, c’est ça. Tu ne peux pas dire du tag, du graffiti. Les gens s’imaginent « cagoules, bombes de peinture, rues bousillées ». Alors que quand tu dis « Street Art », ça fait mignon, ça fait gentil. Tu peux tout mettre là-dedans, que cela soit du collage, du pochoir. « Street Art » aller hop, on emballe : « Je fais du Street Art » « Oh bravo ! »…
— « Et je vends ! »
— Voilà, c’est juste un terme marketing.
(…)

VH : Les seuls tags qu’on a repassés, c’était en cas d’embrouille, si on nous avait repassés avant. Ça n’a dû arriver que deux ou trois fois en dix ans. C’est pour ça qu’on ne nous repasse pas, parce que si quelqu’un nous repasse, tu peux être sûr qu’on va repasser derrière…

Unidivers : Et puis ça n’en finit pas.

VH : Voilà. Enfin, maintenant on est plus comme ça. On va plutôt trouver la personne qui nous a repassés et lui faire refaire notre graff.

Unidivers : C’est sur cette note tout à fait pacifiste que nous allons clore cette entretien…


Leaving France For Two Months And Half par ThibautFleuret

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