Samedi 21 novembre 2020 était placé sous le signe du rassemblement. A la suite de la manifestation en opposition au projet de loi de Sécurité globale (voir notre article) place de la République et celle Mail Mitterrand en faveur du maintien des droits à l’Instruction en Famille, Rennais et Rennaises se sont rassemblés contre les violences et les injustices subies par les femmes, lesbiennes, hommes trans et personnes non binaires Esplanade Charles de Gaulle. Cette manifestation était organisée par l’association Nous Toutes 35 dans le cadre de la Journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes qui a lieu le mercredi 25 novembre.
Samedi 21 novembre 2020, un peu avant 14 h. Les boutiques alentours, le cinéma Gaumont et les Champs Libres sont fermés, mais l’esplanade Charles de Gaulle, rebaptisée la place du Peuple par le mouvement citoyen Nuit Debout, se remplit peu à peu… Des groupes se forment de-ci delà et des banderoles aux messages revendicateurs commencent à s’élever : « Darmanin démission », « Boniches, potiches, pleins les miches ! », « La culture du viol est en marche », « Notre colère dans la rue », et d’autres encore… Chaque année, au mois de novembre, une partie de la population se rassemble afin d’interpeller les pouvoirs publics quant aux violences faites aux femmes. Les Nations Unies ont retenu la date du 25 novembre comme « Journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes », en mémoire des trois sœurs Mirabal, militantes politiques qui furent assassinées le 25 novembre 1960 sur ordre du dictateur Rafael Trujillo.
En 2019, la manifestation avait rassemblé 5000 personnes à Rennes ; cette année n’a pas dérogé à la règle. Malgré la situation sanitaire, les mesures de confinement et le froid de la fin novembre, plus d’un millier de Rennais ont rejoint un rassemblement indispensable dans l’espace public afin de faire entendre leur voix. Aux commandes de l’évènement, l’association Nous toutes 35, avec l’accord de la Préfecture. « Les violences sexistes et sexuelles sont un fléau qui ne touche pas que les femmes. Les enfants, les personnes trans, les personnes non-binaires, toutes les personnes LGBTI sont concernées par ces violences du système patriarcal », lit-on dans le communiqué de presse. Ces violences morales et physiques sont partout et systémiques : au travail, dans la rue, dans les foyers, sur Internet. « Nous Toutes 35 préfère parler de la Journée internationale contre les violences sexistes et sexuelles. »
88 féminicides en 2020 à ce jour…
« Déborah, 29 ans, abattue par son ex-compagnon » ; « Anonyme, 79 ans, étranglée par son compagnon (2e confinement) » ; « Manon, 19 ans, poignardée par son compagnon (1er confinement)… » À proximité de la scène installée pour les prises de parole, des feuilles blanches éparpillées et collées sur le sol attirent le regard. Sur chacune d’elles, un nom est écrit en noir et, en dessous, un âge ainsi que les circonstances du décès en dernière ligne ne laissent pas de place au doute. Parfois, l’inscription « et ses enfants » renforce, si c’était nécessaire, l’atrocité de l’acte. Selon l’étude nationale relative aux morts violentes au sein du couple, rendue publique par le Ministère de l’intérieur lundi 17 août dernier, 146 féminicides ont été perpétrés en France en 2019, 25 victimes de plus qu’en 2018, soit une augmentation de 21 %. Cela signifie qu’un homme a tué sa conjointe ou son ex-conjointe tous les trois jours – ou tous les deux jours en fonction des estimations. On ne parle pas ici d’accidents, mais bien de meurtres. Ce rassemblement est aussi une manière de rendre hommages aux victimes de ces violences conjugales.
À la première prise de parole, de petites pancartes dorées s’élèvent dans la foule. Sur chacune d’elle, on peut y lire une lettre en noir. L’ensemble crée une phrase : « Covid à l’extérieur, violences à l’intérieur. » En 2020, 82 féminicides ont à ce jour été commis. À combien s’élèvera le chiffre en fin d’année alors que le premier confinement avait révélé une hausse de plus de 30 % des violences conjugales, selon Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes ? « Alors que nous sommes reclus·es dans nos foyers, davantage de violences sexistes et sexuelles sont perpétrées, plus que jamais en toute impunité. », souligne Nous Toutes 35. Rappelons d’ailleurs qu’un dispositif d’alerte a été mis en place dans les pharmacies. En cas de violences conjugales, la victime peut utiliser le code « masque 19 » afin d’alerter le pharmacien.
Malgré la baisse constatée en 2020, les chiffres forcent à regarder l’effroyable vérité en face. Déclarée « grande cause du quinquennat » par le chef de l’État en 2017, la lutte contre les violences faites aux femmes est loin d’être gagnée… Et ce, malgré les mesures mises en place : les plans de lutte contre les violences faites aux femmes (5e plan, 2017-2019) ; lois relatives aux violences au sein des couples (LOI n° 2010-769 du 9 juillet 2010) ; le téléphone grave danger (TGD), un dispositif afin de protéger les victimes de violences conjugales ou de viol ; foyers d’hébergement pour les femmes contraintes de quitter leur domicile, etc. Mais ce n’est pas suffisant.
Chaque nouvelle femme qui succombe suite aux coups de son compagnon ou ex-compagnon est un nouveau rappel à l’ordre. « Il faut que l’on assiste à un profond changement des mentalités. Il y a un travail à faire au niveau de la police et de la justice : pour que les femmes soient écoutées lorsqu’elles vont déposer plainte, qu’on les croie, que les auditions soient bien menées pour que les magistrats, ensuite, puissent prendre les mesures de protection qui s’imposent. », rapporte Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes en Seine-Saint-Denis dans un article dans le journal Le Monde en date du 17 août 2020. Dans quelle mesure les forces de l’ordre sont-elles en capacité de gérer ce genre de situation alors que la formation d’adjoint de sécurité (ADS) de trois mois propose seulement un cours de 3h sur les violences conjugales et alors même qu’elles concernent la majorité des interventions sur le terrain ?
Un rapport établi par l’inspection générale de la justice, rendu public en novembre 2019, a en effet démontré que 80 % des plaintes pour violences conjugales entre 2015 et 2016 ont été classées sans suite. En moyenne chaque année, 219 000 femmes majeures déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint. Moins d’une victime sur cinq déclare avoir déposé plainte (voir notre article). « Nous Toutes 35 appelle à se mobiliser pour interpeller les pouvoirs publics chargés de ces questions afin qu’ils mettent en place les mesures nécessaires pour protéger les personnes victimes des violences patriarcales. Il est impératif que des solutions d’hébergement alternatif soient mises en place en nombre suffisant, que des structures de proximité soient créées et soutenues, que des personnels soient formés pour accompagner les personnes victimes de violences au sein de leur foyer. »
« Dans la rue, tant qu’il le faudra ! »
À tour de rôle, les associations rennaises ont pris la parole. Les Dévalideuses ont abordé les violences subies par les personnes en situation de handicap, tout particulièrement en cette période de crise sanitaire. Régine (39 ans), cofondatrice du collectif KUNE “faire ensemble à Villejean” et actuellement en logement provisoire afin de fuir les coups du père de sa troisième fille, a partagé un touchant témoignage. Des femmes ont également confié l’expérience des violences subies par les femmes exilées.
La Commission Femmes de Solidaires 35 a dénoncé les violences sexistes et sexuelles au travail et les femmes premières de corvée pendant la crise sanitaire. Pas moins de 32% des femmes ont déjà subi du harcèlement sexuel. « C’est énorme, mais pourtant aucune mesure n’est prise pour obliger les entreprises à agir », précise Nous Toutes 35 dans son communiqué. ZIN 35, collectif des femmes kurdes, a interpellé contre les politiques et violences sexistes à travers le monde et ISKIS, Centre LGBTI de Rennes a proposé une intervention relative à la Journée internationale du souvenir trans. Le Collectif Justice et Vérité pour Babacar Gueye a terminé la prise de parole en invitant à se joindre à la commémoration de la mort de Babacar Gueye, le 5 décembre prochain. « Une annulation de dernière minute a entraîné l’absence de prise de parole relative à l’islamophobie, pourtant particulièrement vivace en ce moment dans ce pays. Toutefois nous avons pu l’aborder dans la prise de parole de Nous Toutes 35 », rapporte Fanny de Nous Toutes 35.
Entre chaque prise de parole, des slogans et des chants sont scandés avec force et vivacité : « Notre colère dans la rue, riposte féministe », « Le silence ne nous protégera pas, nous serons dans la rue tant qu’il le faudra » et bien d’autres encore. Une chorégraphie a également été réalisé sur l‘hymne féministe né au Chili, Un violador en tu camino. Malgré un contexte qui isole de toute vie sociale, le rassemblement a montré la vraie force de la population : la fraternité et l’union.
Pour aller plus loin :
5ème plan de lutte de lutte contre toutes les violences faites aux femmes
LOI n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences au sein des couples
Plus d’informations sur : www.stop-violences-femmes.gouv.fr
Plateforme pour signaler les violences sexistes et sexuelles : ici
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NUMÉROS UTILES :
Code d’urgence pour les violences conjugales : à la pharmacie, demander le « masque 19 »
3919 : le numéro de téléphone pour les femmes victimes de violence (gratuit et anonyme)
Osez en parler ! En Ille-et-Vilaine, appelez le 02 99 54 44 88 – 24h/24 et 7J/7
CRIFEM – équipe de crise liée au Centre Médico Psychologique de Bain de Bretagne :
02 99 44 77 99
Collectif Féministe Contre le Viol : 0 800 05 95 95 (gratuit et anonyme – du lundi au vendredi de 10h à 19h). Site : ici
Également sur Unidivers.fr :
LE CHIFFRE DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES PAR ERNESTINE RONAI
ILLE ET VILAINE. QUELLES RÉALITÉS POUR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ?