La Description du malheur, ouvrage du regretté Sebald consacré à la littérature autrichienne, a été publié il y a quelques mois chez Actes Sud. La traduction par Patrick Charbonneau, qui signe également, aux éditions Fario, celle de Nul encore n’a dit du même auteur, offre une occasion, pour l’amoureux ou l’inconnu de l’œuvre de cet immense auteur allemand, de découvrir ou redécouvrir un Sebald d’avant Les anneaux de Saturne ou Austerlitz. Cette publication, loin d’être une introduction à son œuvre, constitue surtout une entrée, à travers la vision et la plume de Sebald, de la littérature autrichienne.
L’ambition de Sebald, dans cet ouvrage, ne consiste pas à dresser la liste exhaustive des grands noms de la littérature autrichienne, ni de les replacer, sciemment, chronologiquement, dans un contexte historico-culturel particulier. La périodisation voulue par Sebald entend plutôt « faire ressortir quelques conjonctions spécifiques qui semblent constitutives de la littérature autrichienne, si tant est que celle-ci existe ». Pour ce faire, il mène son histoire personnelle de la littérature autrichienne à travers dix analyses, consacrées chacune, dans l’ordre, à Stifter, Schnitzler, Hofmannsthal, Kafka, Canetti, Bernhard, Handke, Herbeck, Roth, pour terminer sur un rapprochement entre Stifter et Handke. Sebald, donc, soustrait à une vaste littérature quelques figures à travers lesquelles plusieurs éléments seront examinés. On navigue, dans cet essai, comme dans ses romans, d’auteur en auteur, de temps en temps : Sebald se pose avant tout en lecteur. Et il part d’un constat assez pessimiste : « la proportion de vies malheureuses dans l’histoire de la littérature autrichienne est tout sauf rassurante ». Ce constat, en plus de lui permettre d’avancer quelques hypothèses quant à la relation que l’écriture et les écrivains ont pu entretenir avec l’histoire de leur pays – celle, par exemple, selon laquelle la fin de l’Empire d’Autriche entraînerait, de fait, dans la conscience collective, l’idée d’un déclin certain – débouche sur une autre problématique capitale : l’importance de la littérature autrichienne – et partant, de la littérature tout court – par rapport à la psychanalyse. « S’il est juste de dire que l’on ne pourrait lire Schnitzler sans Freud, écrit Sebald, le contraire est également vrai ». La littérature autrichienne, ancêtre de la psychologie, a par la suite, tout au long du XXe, rivalisé avec elle, voire, selon Sebald, l’aurait anticipée. L’écrivain hongrois Kosztolanyi écrira de la même manière ces mots :
La psychanalyse, j’ai appris à la connaître dans ma jeunesse. Je lui dois beaucoup. Mais la création littéraire se nourrit de couches gisant à une telle profondeur dans l’inconscient que même la psychanalyse, cette science naturelle de notre vie intérieure, est incapable de les atteindre.
La littérature, par ses techniques, son statut – pensons, avec Sebald, au roman comme art temporel – ainsi que la longue et parfois douloureuse maturation qui la voit advenir, a la possibilité de voir plus loin que ne le pourrait la psychanalyse.

