Rencontre avec Xavier Coste, un jeune auteur déjà reconnu qui nous parle de son dernier ouvrage L’homme à la tête de lion, mais aussi de son travail, de ses envies, de ses craintes. Propos recueillis au festival Quai des bulles, à Saint-Malo.
Encore très jeune, Xavier Coste est devenu rapidement une référence dans le milieu de la BD tant par ses adaptations de roman comme celui de Bosco, L’enfant et la rivière (voir chronique), que celui de Orwell, 1984, qui lui valut l’année dernière prix et récompense. Travailleur infatigable, et surtout soucieux de se renouveler constamment, de surprendre ses lecteurs, il vient de publier L’homme à la tête de lion (voir chronique), BD dans laquelle il raconte avec son propre scénario et des dessins époustouflants la vie d’un phénomène de cirque aux États-Unis dans les années vingt. Nous voulions en savoir plus, notamment sur la capacité de l’auteur à changer de style, d’univers, d’album en album. Petite lunette d’adolescent sur le nez, la gentillesse et la modestie en bouche, Xavier Coste semble s’excuser de parler de lui et de son travail. Son sourire, comme signe tangible de sa joie de voir son travail reconnu, est contagieux. Tout comme l’intelligence de ses propos.
Unidivers – Le prix BD Fnac France Inter obtenu l’année dernière avec 1984 a changé des choses dans votre vie?`
Xavier Coste – Ce prix change effectivement la vie ! 1984 est mon septième livre et par le passé j’avais souffert du temps de réalisation d’un ouvrage et de sa courte existence auprès des lecteurs et en librairie. 1984, sur lequel j’ai passé trois ans, a bien fonctionné pendant un an et le Prix a fait l’effet d’une nouvelle sortie. Je n’aurais jamais imaginé avoir des ventes supérieures douze mois plus tard à la sortie initiale. Je m’estime extrêmement chanceux. J’ai bénéficié aussi de cette mise en lumière pour réaliser un projet que j’aurais eu plus de mal à faire précédemment. Le sujet de L’Homme à la tête de lion est plus ardu, le dessin plus exigeant et j’avais envie de prendre ce pari là plutôt que refaire quelque chose d’attendu comme une adaptation d’un autre roman.
U – Pourquoi justement ce projet là, à ce moment là ?
Xavier Coste – J’ai toujours quatre ou cinq projets en tête compte tenu de mes temps de réalisation qui sont assez longs. À la fin d’un livre je pioche dans ces projets en fonction de l’envie du moment. Je suis sorti de 1984 à la fin du premier confinement et compte tenu de la lourdeur du sujet j’ai eu envie de reprendre le thème de L’Homme à la tête de lion auquel je pensais depuis sept ans, un projet plus léger, onirique, proposant un vrai plaisir graphique. Le fait que ce thème soit si différent de 1984 m’a enlevé beaucoup de pression.
U – C’est l’un de vos rares albums qui n’est pas une adaptation.
X. C. – J’avais déjà écrit un album original À la dérive chez Casterman (voir un extrait). J’aime avoir un point de départ pour en transformer la matière mais cette fois-ci j’ai voulu aller plus loin dans l’écriture et je crois même avoir passé plus de temps sur l’écriture que sur le dessin. C’était primordial de me mettre à nu.
U – Mais le cirque c’est graphiquement intéressant ?
X. C. – Paradoxalement je n’aime pas l’esthétique du cirque, ce n’est pas un monde qui m’attire mais en revanche j’aime beaucoup les personnages forts et je suis tombé par hasard sur les photos de trois hommes, phénomènes de foire, souffrant d’hypertrichose (NDLR : maladie entraînant une pilosité abondante du visage). Les photos, les affiches m’ont inspiré mais j’avais envie d’écrire une fiction. Aussi, mon personnage est un peu hybride, un mélange de ces trois individus mais avec son caractère propre à imaginer. À l’identique, je voulais que mon dessin ne soit pas du premier degré et proche de l’esthétique attendue du monde du cirque. J’ai donc utilisé peu de couleurs comme dans 1984 et j’ai employé des systèmes de trames pour donner une patine à l’ensemble. Je ne souhaitais pas un univers criard d’autant que mon personnage est aussi un peu en lutte avec le monde du cirque.
U. – De la fiction pure ?
X. C. – On a de la vie réelle d’Hector Bibrowski, mon personnage inspirant, les grandes lignes mais c’est tout. On sait qu’il est mort dans les 40 ou 45 ans, qu’il a arrêté le cirque dix ans avant et on a perdu sa trace. Pour moi, c’est génial de pouvoir creuser cet angle mort. Je cherche toujours des sujets peu ou pas abordés.
U – Le monde des « Freaks » (« monstres », en anglais) est certes peu connu.
X. C. – Effectivement et le peu que j’en savais était négatif à mes yeux. En me renseignant avec les films d’époque, je me suis aperçu que ces freaks gagnaient beaucoup beaucoup d’argent, à l’exception de ceux qui avaient des déficiences mentales, et étaient des célébrités. Aujourd’hui cela parait monstrueux mais pas à l’époque. Du coup, cet angle inédit m’intéressait : voir ce qui nous semble monstrueux aujourd’hui comme positif. Mon personnage n’a rien à faire. Il se montre et gagne beaucoup d’argent. Il est presque blasé et il a envie d’être reconnu pour un talent particulier d’où l’envie que je lui attribue de la peinture.
U – Pourquoi la peinture ?
X. C. – Je me suis dit que même si je ne suis pas un monstre, je devais mettre des éléments de ma personne pour donner un peu de crédibilité à mon personnage. Cela fait 12 ans que je fais de la BD et cela fait douze ans que je me dis que je vais prendre un an pour développer la peinture. Degas, Manet, Monet, sont des clins d’oeil à mes goûts comme l’évocation à la fin de l’album d’Egon Schiele ou la récitation de poèmes de Rimbaud, qui sont des thèmes d’albums précédents.
U – Le terme onirique revient souvent quand on doit qualifier votre style.
X. C. – Mon album est paradoxal ; c’est un album riche en images mais aussi avec beaucoup de passages reposants. C’est probablement dû aux conditions dans lesquelles je l’ai fait. Je l’ai réalisé pendant toute l’année et demi de promo de 1984. Par ailleurs j’ai deux enfants en bas âge, donc d’un point de vue purement logistique j’ai travaillé la nuit, majoritairement entre minuit et quatre heures du matin. Cela se ressent certainement dans le livre. Ces moments nocturnes sont magiques, on a l’impression d’être le gardien de la nuit. Beaucoup de séquences de rêves, de nuit, ces moments que vous appelez oniriques, sont venus se rajouter à l’écriture initiale.
U. – Ce qui est frappant aussi c’est qu’il y a de nombreuses planches que l’on peut détacher et admirer seule, hors récit. Comment les avez vous conçues?
X. C. – Ce que je trouve magique c’est que ce sont des pages qui naissent presque toutes seules. Ce sont des scènes qui ne faisaient pas partie du script de départ. Des doubles pages existent parce que j’ai juste envie de les dessiner à ce moment là. Elles ne sont pas anticipées et je ne sais même pas où je vais les intégrer. Ces scènes dispensables, ce sont celles que je préfère car on y trouve le cœur des choses.
U. – Il faut les intégrer ensuite ?
X. C. – Je fais en permanence un travail de montage, en rallongeant ou en raccourcissant des séquences, comme une partition musicale, pour qu’elles se répondent le mieux possible. J’essaie d’alterner des séquences oniriques avec des séquences utiles pour le récit. Je m’accorde de plus en plus de liberté. À une époque, je n’aurais pas osé envoyer certaines scènes à l’éditeur et pourtant elles ont été imprimées presque du premier jet. Je suis de plus en plus mon intuition.
U. – Vous vous faites de plus en plus confiance ?
X. C. – Finalement ce qui est prévu depuis longtemps tombe souvent à mes yeux à plat. Si le dessinateur s’ennuie en dessinant son histoire le lecteur va s’ennuyer dix fois plus. Si je ne m’amuse pas à dessiner une page je préfère la retirer. Je me suis libéré de la case et je laisse de plus en plus exploser le dessin.
U. – Ce format carré justement est une forme de cette libération ?
X. C. – Totalement. C’est le format qui m’a libéré. Ce qui est drôle c’est qu’en dédicaces on me demande : « quand sort votre troisième album ? », comme si je faisais une série. J’ai l’impression d’avoir souffert d’enfermer mon dessin dans des formats classiques. Je prends plus de plaisir car je n’ai pas le sentiment de travailler. Je ne trace plus mes huit cases au départ et je me sens libre.
U. – C’est 1984 qui a imposé ce carré ?
X. C. – Oui complètement. Encore une fois, pour rompre mes habitudes de travail. Ce qui me terrifie, c’est l’idée de me répéter. Je veux que chaque livre quand il sort ne ressemble pas à l’idée que je m’en faisais deux ans avant. Changer le format faisait sens avec 1984 pour rendre l’idée d’oppression et par rapport à l’architecture géométrique. J’ai repris naturellement ce format sans y penser, même si de lecteurs se plaignent que ce soit un format difficile à ranger en bibliothèque (rires).
U. – Beaucoup de thématiques traversent L’Homme à la tête de lion.
X. C. – C’est vrai que moi-même j’ai parfois du mal à résumer mon livre. Il a fallu que je resserre l’histoire car j’avais trop tendance à m’éparpiller avec des sujets secondaires. Je voulais que ce soit un livre généreux. J’ai toujours en tête que le livre est onéreux pour le lecteur donc je veux qu’il en ait pour son argent. J’ai retiré une trentaine de pages finies. Ma thématique principale, c’est quand même la quête d’identité et l’envie de comprendre comment un personnage avec un tel physique réussit à en faire un atout. Aucune réponse dans la documentation y compris dans les rapports qui sont uniquement médicaux. Donc ce fameux angle mort que je recherche en permanence.
U. – Votre personnage reflète cette complexité.
X. C. J’espère que mon personnage est complexe mais aussi attachant. J’aime les personnages pour lesquels on a un peu d’aversion au départ, ceux qui sont un peu cabossés, en dehors des clous. Peut être que parce que je ne suis pas comme cela. C’est fascinant de se glisser dans un mode de pensée qui n’est pas le sien.
U. – Votre livre est aussi le changement d’une époque.
X. C. – Ce thème m’intéressait aussi : la radio, le cinéma, la télévision vont achever une période. On a beau être sur un média performant comme le cirque à l’époque on n’est pas à l’abri du déclin. Le cinéma et la BD aujourd’hui me semblent dans la même situation. Les mode de consommation en BD s’orientent plus vers le manga, vers des lectures pas chères, imprimées sur du papier de faible qualité ou de la lecture sur tablette alors que je prends de plus en plus de temps pour faire mes livres, avec des paginations de plus en plus fortes, avec des couvertures soignées avec des vernis sélectifs. C’est totalement à contre courant du marché. J’ai un peu le sentiment d’être un irréductible face au futur. J’espère qu’il y aura encore des gens capables de s’intéresser au livre en tant qu’objet et Sarbacane essaie de développer une identité à chaque ouvrage. Une BD en PDF pour moi cela n’a aucun sens.
U. – Dernière question inévitable : quel sera votre troisième album … carré?
X. C. – Ce sera une histoire dystopique plus orientée science-fiction, domaine qui me passionne, avec un univers graphique proche de 1984 mais traitant de thématiques absentes du roman : robotique, conquête de l’espace. Un gros défi d’écriture.
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