Rencontre avec Xavier Person, directeur de Livre et Lecture en Bretagne

Rendez-vous au Piccadilly. Non le circus, mais le circum opera de Rennes. Avec Xavier Person, directeur de Livre & Lecture en Bretagne depuis février 2023, la structure qui accompagne les politiques publiques en faveur du livre et de la lecture.

Au Piccadilly, place de la mairie, à quelques notes de l’opéra de Rennes, nous faisons connaissance avec Xavier Person, un homme élancé au regard psychologique non dénué d’une fine malice. Un échange posé révèle un esprit curieux, volontaire, diplomate. Xavier Person entend cerner les enjeux propres à ce territoire breton avant d’y déployer des orientations qu’il a savamment identifiées et patiemment élaborées. Après un lustre d’existence discrète, cette structure régionale apparait destinée à écrire une nouvelle page, marquée par la promotion de collaborations étendues entre acteurs de la chaine du livre et de la lecture.

Unidivers – Xavier Person, en sus d’être écrivain et critique, vous êtes un acteur de la promotion politique du livre et la lecture. Comme une bonne biographie, commençons par le commencement, voulez-vous. La naissance a lieu dans la Vienne et le baptême (intellectuel) à Paris…

Xavier Person – Oui, en effet (sourires), je suis né en 1962 à Poitiers. Et j’y ai connu une vie heureuse dans notre maison située en face du parc de Blossac comme au collège Saint-Joseph et au lycée Victor-Hugo. Mais un désir intellectuel puissant m’a conduit à Paris afin de suivre des études de lettres modernes à Paris IV puis Jussieu. La rencontre de grands textes, notamment hugoliens, commentés par des enseignants éclairés fonde mon rapport à la littérature et à l’écriture. Mais mon baptême parisien (rires) ne dura pas…

Unidivers – Si jeune, un retour à Ithaque ?

Xavier Person – Si la littérature était désormais au centre de ma vie, je ne ressentais pas du tout l’envie d’être moi-même enseignant. Une fois ma maîtrise en poche, je réfléchissais à l’avenir quand une série de facteurs improbables m’a conduit en 1987 à prendre la direction de l’office du Livre de… Poitou-Charentes.

En fait, les recruteurs publics, qui ne savaient pas trop quoi faire de cette jeune structure, ont décidé de recruter le candidat le plus jeune et inexpérimenté. Une sorte de pari sur l’immaturité. L’hasardeux fut chanceux : nous avons tous appris à travailler ensemble, élus et professionnels, afin d’imaginer une activité profitable au monde du livre à l’échelle régionaleJ’ai passé 11 ans à rencontrer des libraires, des éditeurs, des écrivains, des lecteurs…

Des croisements qui ont donné naissance notamment au festival Écrivains présents en partenariat avec l’Université de Poitiers, la médiathèque et les librairies. On y croisait des plumes nationales et internationales telles que Jean Echenoz, Jean-Philippe Toussaint, Pierre Michon, Patrick Deville, Manuel Vázquez Montalbán Ce fut aussi l’installation d’un réseau régional de résidences d’écrivains. Rochefort vit la création d’un autre festival : Balcon sur l’atlantique à la Corderie royale puis un festival itinérant de poésie voyait le jour dans les librairies et les bibliothèques. De petites maisons d’édition avaient germées sur les terres charentaises, telles que Le temps qui fait, Plein chant, etc. Et c’était pour moi à chaque fois des rencontres passionnantes avec des passionnés de littérature qui ne se confrontaient pas moins aux dures réalités du métier d’indépendant.

Unidivers – Mais après 10-12 ans, une page devait se tourner…

Xavier Person – Un jour alors qu’il neigeait sur la Rochelle, François Bon [NDLR : un auteur bien connu des Vendéens] m’appelle et me propose de travailler à Montreuil afin de  rejoindre l’équipe du Centre de promotion du livre jeunesse en Seine-Saint-Denis. J’avais 36 ans, j’ai dit oui.

Je suis passé d’un territoire profond à un territoire complexe (et c’est peu dire…). Je rencontrais une population mixte et une réalité sociale difficile, pleine de vitalité, très jeune. Le Salon du livre jeunesse à Montreuil avait conquis les habitants et attiré au-delà des frontières de la ville. Ma mission de renforcer le lien avec les bibliothèques ayant visiblement réussi, le département de Seine-Saint-Denis m’a demandé de le rejoindre pour y poursuivre le boulot : c’est alors que j’ai pu participer à la création du festival Hors limites, un festival littéraire construit par les bibliothèques de Seine-Saint-Denis, dont je me réjouis de voir qu’il continue.

Unidivers – Puis du département à la région…

Xavier Person – C’est en 2006 que j’ai été nommé à la direction du service livre et lecture du Conseil régional d’Île-de-France. Le défi était de construire une politique régionale du livre sur un territoire aux enjeux pour une part nationaux, même si la dimension territoriale y est très importante, notamment en banlieue et en Grande couronne. La concertation a été un moment clé. L’éducation artistique et culturelle a notamment permis de rassembler tous les acteurs du livre, par exemple autour d’un programme de Leçons de littérature, consistant en master class faits par des écrivains dans les lycées. Un souvenir : Mohamed Mbougar Sarr parle de sa voix douce et posée devant un parterre de plus de deux-cents lycéens du Val d’Oise, on aurait pu entendre une mouche voler, et les yeux brillaient.

Unidivers – Puis le magnétisme aussi bien livresque que réel exercé par notre chère Bretagne a eu raison de vous. Vous venez d’être nommé à la tête de Livre et lecture en Bretagne. Xavier Person, vous semblez être un homme d’enjeux ou, plutôt, un homme qui aime se confronter à un territoire afin de le décoder et repérer les angles les plus adaptés à la pénétration de projets au service de la lecture. Quelles sont vos premières appréciations, voire votre première vision, ainsi que vos perspectives ?

Xavier Person – Travailler à la coopération entre acteurs du livre nécessite d’identifier un objet afin d’y construire puis d’y déployer un projet. C’est ce que l’expérience m’a appris. A ce stade, mais la réflexion va s’approfondir dans un dialogue avec les professionnels et les acteurs publicsques, quelques pistes se dessinent, notamment :

1. Donner toute sa place à la création littéraire. Un état des lieux est en cours qui paraîtra au mois de mai au sujet de l’ensemble de la filière du livre en Bretagne. Vous n’êtes pas sans savoir que les auteurs font partie de ceux qui se sortent mal de la période covid. L’approfondissement du travail sur les résidences d’écrivains pourrait ainsi avoir du sens, où se développent souvent des ateliers d’écriture et différentes formes de partages autour des textes ;

2. La dimension économique de la filière doit bien sûr être prise en compte, et la poursuite de la professionnalisation – l’édition indépendante en Bretagne comporte bien des pépites… ;

3. Consolider les droits culturels. Par exemple, l’action sur les territoires autour des écrivains se fait souvent dans une approche « relationnelle », où chacun part de sa propre histoire, de son rapport à l’expression et à la langue. « Tous les mots sont adultes », comme le rappelait François Bon. Les bibliothèques constituent souvent des laboratoires d’innovation sociale, et c’est avec elle, et avec les librairies et les acteurs de la vie littéraire, que la réflexion doit être poursuivie. La question des langues de Bretagne mérite l’attention.

4. Faire résonner les enjeux sociétaux et environnementaux est une priorité. Alors que l’urgence écologique traverse les acteurs de la culture, les pratiques et les recommandations évoluent. Un enjeu capital consiste à contribuer à la réflexion en vue de décarboner la filière et stimuler les imaginaires afin de pleinement intégrer cette dimension. Il est clair que la littérature a là un rôle déterminant à jouer pour nous aider à imaginer, ou à retrouver, un rapport plus juste au vivant, à ce qu’on appelle à tort l’« environnement » pour mieux le tenir à distance… ; 

5. Cibler une aide sur mesure à destination des publics empêchés. Entre illettrisme et lecture pour tous, entre multiplicité des langues et droits culturels, le chantier déjà bien entamé par Livre et lecture en Bretagne pourra être poursuivi.

Par exemple, le travail déjà engagé autour de l’action « Jeunes en librairies » montre une belle direction de travail. Et la vivacité des créations de librairies en Bretagne ces dernières années est de bonne augure.

Unidivers – Vaste projet pour une structure de la taille de Livre et lecture en Bretagne…

Xavier Person – En effet. Mais il me semble viable dès lors que  Livre et lecture s’inscrit comme un carrefour interprofessionnel au service de l’émergence de projets conjoints qu’elle pourra accompagner. Il s’agit de trouver le bon endroit, d’épouser la bonne position, afin de stimuler des interactions, de faire catalyse. C’est ainsi que je projette Livre et lecture en Bretagne : participatif et créatif, avec des lignes de force définies et promues étroitement entre acteurs du livre et puissances publiques.

Unidivers – Nous voilà à la page, merci Xavier Person. Et que vive la lecture en Bretagne !

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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