Le Yémen semble enfin apparaître dans l’actualité alors que sa situation nationale dégénère depuis déjà plusieurs mois, notamment en raison de l’intervention militaire saoudienne. Une intervention qui pose pourtant bien des questions…
Les bombardements de l’aviation saoudienne représentent bien une ingérence non diligentée ni par la Ligue arabe ni l’ONU ni toute autre organisation légitimée à s’élever au-dessus des États. Elles font pourtant suite à l’intervention états-unienne qui s’opérait que par l’intermédiaire de drones. Mais le nouveau roi saoudien, Salmane ben Abdelaziz al-Saoud, prend prétexte que les rebelles Houthis se seraient emparés du pouvoir yéménite avec le soutien de l’Iran. Le Yémen est de fait devenu le premier front de la guerre entre sunnites et chiites. Pour bien le comprendre, il convient de se replonger quelques années en arrière : le Yémen, alors monarchie chiite, fait l’objet d’un coup d’État en 1962.
Le Yémen devient à cette date une République. Avec une main mise des musulmans sunnites, soutenus par l’Égypte qui occupait à l’époque le rôle de leader du monde arabe. Le Yémen est encore en conflit avec l’Arabie Saoudite, elle même rivale de l’Égypte. (Le royaume n’est pas encore le royaume multimilliardaire influent qu’il est devenu grâce au pétrole, tandis que la république de Nasser dispose de ports prospères.) Le sud du Yémen est encore sous l’emprise de l’occident, notamment sur son port d’Aden. En 1967, un régime marxiste s’y installe pour acquérir son indépendance, après une courte lutte armée contre le Front de libération nationale venu du nord du pays. Les deux entités nord et sud cohabiteront jusqu’en 1990, date de la première réunification sous l’égide du président Saleh. Cette période est aussi celle de grandes migrations religieuses et ethniques. Le régime de Sanaa, la capitale à l’architecture si caractéristique, tente de se faire une place et de développer le commerce à l’international. La neutralité affichée (notamment dans le conflit koweïtien) ne tient pas très longtemps face au voisin saoudien qui veut régenter toute la péninsule arabique. Le sud fait sécession en 1994 et mène le pays dans une première guerre civile. Le régime tribal, qui n’a pas disparu durant l’ère marxiste, facilite aussi le morcellement du pays et l’installation de groupes terroristes (Al Qaeda, notamment). Le régime saoudien soutient ouvertement les sécessionnistes du sud pour déstabiliser le régime du président Saleh. Paradoxalement, Irak et États-Unis soutiennent conjointement le nord, sur fond de découverte de gisements pétroliers au sud du pays.
Si le coup d’État de mai 1994 par le parti socialiste yémenite ne fonctionne pas, le pays est depuis gangréné par les luttes de pouvoir ; le pays voit son niveau de vie graduellement diminuer, devenant le plus pauvre du golfe. Le président Saleh durcit son régime tout en aplanissant les relations avec l’Arabie Saoudite. Au nord-ouest du pays, les chiites Houthis de la région de Saada se sentent marginalisés et stigmatisés par les mouvements salafistes de plus en plus influents. Ils se révoltent en 2000 ; une guerre civile faisant des milliers de morts jusqu’en 2010. L’insurrection couve toujours au sud. Durant le printemps arabe, une nouvelle période de révolte trouve son apogée dans un attentat contre le président Saleh. Blessé, exilé, il finit par céder le pouvoir sous la pression internationale et les monarchies du golfe. Il laisse sa place au vice-président Abd Rab Mansour Hadi. Mais ce changement ne règle pas le problème de la minorité Houthi (30% de la population environ), laquelle se révolte à nouveau, dans un contexte où Arabie Saoudite et Iran s’affrontent déjà à distance en Syrie et Irak.
Dans ce territoire à l’histoire riche et millénaire, les communautés et tribus se retrouvent le jouet de trop nombreuses influences sur fond de richesses mal exploitées. Alors que l’Arabie Saoudite construit déjà un immense mur à la frontière avec l’Irak, elle ne pouvait que réagir violemment à la montée d’une opposition chiite à sa frontière sud. Toutefois, la menace iranienne, brandie par le régime saoudien, parait encore faible : un approvisionnement en armes et un financement difficile à évaluer. Le double jeu de l’Iran et de son régime bicéphale n’aide pas à une négociation entre les deux partis, auxquels s’ajoutent des francs-tireurs terroristes. Les bombardements saoudiens ne règlent pas plus les affaires d’un Yémen en proie à une anarchie grandissante – le pouvoir central ne régit plus rien depuis déjà plus de 10 ans. Le silence gêné de l’Occident en dit long sur la méconnaissance qui entoure ce pays. Tellement accaparés par Daech, beaucoup de médias espèrent silencieusement que ce nouveau front s’éteindra de lui-même. Seul espoir de règlement : l’émergence d’un leader fort soutenu par une autre puissance plus éloignée des enjeux géopolitiques du Golfe persique afin de remettre l’ensemble des composantes du Yémen autour de la table. Sinon, le Yémen suivra le chemin de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Libye, de la Somalie dans le chaos perpétuel…