« Youn Kamm et le Bagad du Bout du monde » s’est fait une belle place dans le paysage musical et devrait connaître son véritable développement à l’international d’ici 2017. Programmé au Festival Interceltique de Lorient, puis au Festival Fisel de Rostrenen, Youn Kamm est un artiste dont nous n’avons pas fini d’entendre vanter les mérites.
Le multi-instrumentiste breton était pris jusqu’alors par les tournées d’Ibrahim Maalouf dont il a rejoint l’équipe. Ainsi habitué à de grandes scènes comme à jouer en tournée avec pas moins de 18 musiciens, l’artiste déjà accompli n’avait plus qu’à franchir un nouveau cap pour donner libre court à son inventivité, son sens des arrangements et des nuances, à travers un attachement réaffirmé pour la musique traditionnelle, pour une langue aussi : le Breton, Vannetais, et pour être précis, celui de Port-Louis.
C’est sous l’impulsion d’un ami musicien et grâce aux hasards de la vie que Youn Kamm peut concevoir son projet sans laisser de côté ce qui porte et donne du sens à ses compositions : le chant. Sa rencontre avec sa complice du moment, Morwenn Le Normand, remonte aux années lycée. Depuis, chacun avait suivi son propre parcours dans la musique, sans que ni l’un ni l’autre n’exprime l’envie de se retrouver ensemble sur scène, alors qu’une vraie amitié unit ces deux-là dans l’intimité des coulisses.
Morwenn Le Normand et Youn Kamm n’ont jamais joué ensemble à une exception près : Youn dépannait au biniou ses copains du bagad de Port-Louis quand Morwenn jouait dans le pupitre bombarde. Mais c’est par le chant, grâce au chant, que ces deux talents se répondent désormais sous les projecteurs, portés par l’accompagnement puissant et équilibré des nombreux musiciens présents sur le plateau.
Une autre pièce du puzzle vient s’imbriquer comme par magie au bon moment dans cette partition qui doit tout aux rencontres. Noël 2014, Youn invite un autre copain de lycée à manger. Il s’agit de Frédéric Le Floc’h. Youn le croit encore dans la cuisine (pas sa cuisine !), c’est en parlant de son prochain enregistrement que Youn apprend que Frédéric a laissé tomber la restauration et repris du service dans le spectacle vivant pour créer sa boîte de production.
« Ce projet, Youn Kamm et le Bagad du Bout du monde, ne serait pas ce qu’il est sans l’appui précieux de Frédéric, via L’usinerie. Il fait un boulot formidable. On s’appelle tous les jours. Très chouette relation. »
Unidivers : Pour conduire un projet aussi ambitieux que faire monter sur scène tant de musiciens dans un pays encore sous-développé comme la France dans le domaine des musiques traditionnelles, il faut pas mal d’exigence, voire d’intransigeance ?
Youn Kamm : Je suis plus intransigeant avec moi-même qu’avec les autres. Je fonctionne à l’intuition, mais c’est vrai que je passe beaucoup de temps à fignoler mes compositions. Je suis du genre têtu et j’aime aller au bout de ce que m’offre cette capacité à faire que des choses qui se ressemblent dans leur construction, dans leur expression, ne se ressemblent jamais tout à fait. C’est le propre de la musique traditionnelle de jouer sur cet art de la variation avec des arrangements qui ne dénaturent pas le propos originel, mais lui donnent une couleur particulière. Pour parler de la France, oui, c’est carrément minable. Il suffit de voyager un peu pour voir comment les musiques populaires bénéficient d’un meilleur traitement partout ailleurs, y compris dans les médias nationaux. Nous, on ne peut compter que sur nos radios locales. Quant à l’exigence, je la vis sur scène. Je demande à chacun des musiciens d’être à 100% de l’émotion, aussi bien sur les morceaux calmes que sur les montées en puissance. J’ai la chance d’être entouré par de très bons artistes. Cette équipe, c’est une sorte de dream team régionale et forcément ça se ressent dans notre manière de communiquer avec le public. Si on peut parler de succès, c’est entre autres lié à cette énergie qu’apporte le bagad aux morceaux. Les gens aiment ça, comme ils se sentent touchés par la musique elle-même, une musique ancrée dans nos racines, une musique qui invente son propre génie pour le dialogue, l’ouverture à d’autres sonorités.
U : Vous avez fait partie de la Kreiz Breizh Akadémi, c’est d’ailleurs ce qui vous a permis de rencontrer votre ami Ibrahim Maalouf. Vous êtes le parrain de l’édition en cours en qualité de trompettiste-sonneur expérimentateur. Quelle leçon de votre expérience aimeriez-vous transmettre ?
Y.K : Mon expérience de jeu avec de grandes formations s’est fait grâce à cette rencontre inoubliable. Kreiz Breizh Akademi a fêté ses dix ans en 2015. C’est une vraie chance pour nous, artistes bretons et d’ailleurs, de pouvoir accéder à un tel dispositif de formation pour faire évoluer nos pratiques. Ma façon de penser mon rapport à la musique a continué d’évoluer quand j’ai rejoint les musiciens d’Ibrahim Maalouf. Après seulement quatre jours de résidence, nous jouions sur scène les morceaux qu’on venait de travailler.
Ce n’est pas dans mes habitudes d’être dans une telle immédiateté même si les musiques populaires sont à leur façon l’expression d’une authenticité, d’une spontanéité qui est la raison d’être de mes choix artistiques. Ça m’a fait avancer. Avec le Bagad du bout du monde, il m’arrive aujourd’hui selon les morceaux d’être un peu plus dans le lâcher-prise et de voir comment les couleurs que j’ai données à la mélodie, aux arrangements, continuent à vivre sur scène, autrement. Nous nous connaissons depuis longtemps, la confiance joue pour nous. Tout de suite, ça trace.
Ce que je retiens, pour moi en tout cas, c’est l’importance de prendre des claques, comme ça m’est arrivé lors de certains voyages, à New York ou à Istanbul par exemple. J’ai toujours gardé des portes ouvertes, pour laisser la place à l’improbable. C’est ce que je conseillerais aux jeunes qui rêvent de faire de la musique leur métier. Saisir les opportunités, se laisser surprendre, et une fois qu’on est à l’endroit où on n’imagine pas forcément devoir se trouver, se donner à fond. Si ça ne marche pas, il est toujours possible de faire demi-tour, de prendre un autre chemin. Je n’ai jamais eu l’impression de reculer. Pour chaque petite porte qui s’est ouverte, j’ai fait un grand saut en avant.
Youn Kamm et le bagad du bout du monde
Photos Noir et Blanc : Eric Legret
https://www.youtube.com/watch?v=wDOCYu6EX3k
10 août : Festival Interceltique de Lorient
27 août : Festival Fisel à Rostrenen