Dix neuf ans après la disparition de son auteur, Lady Black d’Yves Navarre est devenu l’un des points de jonction de la littérature française. Véritable union de deux univers aux lois contraires, la construction du texte s’articule entre le Nouveau Roman déjà vieillissant (nous sommes en 1971) et ce que l’on appellera six ans plus tard l’autofiction. Dès lors, il y aura un avant et un après Lady Black, un avant et un après Yves Navarre, un avant et un après la lecture d’un tel livre. Grâce à l’œil distancé de l’auteur qui change de peau pour endosser celle de Julien, l’histoire gonfle comme une pâte à brioche soulevée par un levain trop efficace. Très vite, les audaces provocatrices s’installent dans un format narratif fragmenté à n’en plus suivre l’histoire ni les personnages. Yves Navarre aborde les obsessions qu’il a développé tout au long de son œuvre : sa haine de la famille, l’amour et le rejet, la vie et la mort et, bien sûr, la maladie dont il ne sait pas encore ce qu’elle lui réserve lorsqu’il préférera s’en remettre au suicide pour s’en défaire.
Conscient de l’exclusion sociale des homosexuels, Yves Navarre se définissait comme « relativement drôle dans la vie et relativement sérieux dans ses romans ». Il n’acceptait pas que l’on puisse le tolérer et, faisant fi de cette exclusion, Lady Black fut l’un des premiers romans grand public à évoquer l’amour entre hommes autrement qu’à travers une initiation pédérastique. Ici, l’amour est décrit comme il existe entre adultes consentants : possible, contrarié, physique et platonique, amical et malveillant mais jamais à demi. Guillaume Dustan, Denis Belloc, Cyril Collard, Pascal de Duve ou encore Hervé Guibert (pour ne citer qu’eux) doivent à Yves Navarre le boulevard qu’il a tracé dans la littérature française, permettant à cette nouvelle génération d’écrire des textes authentiques où les passions, toutes les passions y compris celles réprouvées par un rigorisme obsolète, ont désormais la place qu’elles méritent.