Zanzim, Frédéric Leutelier de son vrai nom, est de ces dessinateurs talentueux qui peuplent notre joli département, l’Ille-et-Vilaine. Propulsé par le succès de Peau d’homme en 2020, réalisé en collaboration avec le scénariste et coloriste disparu Hubert, l’artiste est loin d’être l’homme d’un seul chef d’œuvre. En vue de sa participation au festival Rue des livres, dimanche 13 mars 2022, aux Cadets de Bretagne, la rédaction est allée à sa rencontre lui tirer le portrait.
Habitué des festivals et salons du livre, d’autant plus depuis deux ans, Zanzim est l’invité du festival Rue des livres, les 12 et 13 mars 2022. Une rencontre-portrait autour de cet orfèvre de la bande dessinée est prévue aux Cadets de Bretagne, sis 139 rue d’Antrain, dans la salle Armor, dimanche 13 mars à 14 h 30.
Dans une commune proche de Rennes, Tinténiac précisément, vit celui qui était surnommé Guy Degrenne par son oncle. Zanzim, Frédéric Leutelier de naissance, est de ceux qui sont tombés dans la potion artistique quand ils étaient petits. Peu assidu en cours, comme il l’avoue, il passait son temps à griffonner dans ses cahiers de cours. « Ce surnom vient d’une publicité dans laquelle un professeur interpelle un élève qui dessinait dans les marges de son cahier ‘Guy Degrenne, vous ne réussirez jamais dans la vie‘ », se souvient le dessinateur. Mais le petit Guy devint un dessinateur reconnu d’articles culinaires… Un peu comme Zanzim dans le monde de la bande-dessinée.
Malgré son manque d’intérêt pour les cours magistraux, sa scolarité lui a semble-t-il montré la voie. Des caricatures de professeurs pour faire rire les camarades au collège, Zanzim passe à la création d’un fanzine au lycée. Les réactions de ses premiers lecteurs et lectrices le motivent à poursuivre sur ce chemin esquissé entre les lignes de ses leçons. Son entrée à l’École Supérieure des beaux-arts d’Angers est une révélation qui conforte le futur dessinateur, déjà très sensible à l’esthétique de la bande dessinée, dans son choix d’avenir. « J’ai été refusé à Nantes, parce que j’étais déjà très orienté bande dessinée », précise-t-il. « Les profs d’Angers m’ont incité à explorer d’autres médiums et d’autres techniques. Je m’intéressais à l’illustration, mais aussi à la sculpture et à la sérigraphie ». Sa formation lui apprend à perfectionner son trait jusqu’à aboutir en 2002, à la BD Les Yeux Verts, son premier travail d’orfèvre, pour reprendre les mots d’Emmanuelle Callas, directrice de l’association Rue des livres.
Cette première création est empreinte de ses expérimentations artistiques, notamment dans le traitement du dessin et de la couleur, proche de l’esthétique de la peinture. Malheureusement épuisé, Les Yeux Verts est aussi la bande dessinée qui scella sa rencontre avec le défunt scénariste et coloriste Hubert, disparu en 2020. Une réelle collaboration artistique naît de ce premier partenariat, un accompagnement qui dura une vingtaine d’années avec Zanzim au dessin, et Hubert au scénario et à la colorisation.
Après deux nouvelles bandes dessinées à quatre mains – La Sirène des pompiers (2006) et Ma Vie Posthume en deux tomes (2012 – 2013), Zanzim se lance dans son premier scénario à l’orée de ses 40 ans. L’Île aux femmes prend vie dans les couleurs de son acolyte en 2015. « J’avais encore besoin de lui [Hubert] sous le coude. Est-ce une manière de ne pas complètement le trahir ? Peut-être », répond-il. « Ce n’est pas évident de se lancer seul, mais je suis content de mon parcours. J’ai eu la chance d’évoluer avec Hubert qui écrivait de superbes histoires. Il m’a beaucoup apporté à ce niveau. » Telle une figure tutélaire, Hubert a accompagné Zanzim dans son évolution artistique, notamment sur la nuance dans le caractère des personnages, mais également personnelle. Tout n’est pas noir ou blanc, les caractères naissent dans des nuances de gris pour se rapprocher au mieux de la réalité.
Son intérêt pour les années 1960 et 1970 et les premiers dessins animés, comme Hanna Barbera, sont autant d’affinités qui ont aussi développé son trait et son style. Dans la recherche d’un dessin simplifié et visible, Zanzim a perfectionné son savoir-faire dans la netteté de la ligne et la fluidité du trait pour des compositions épurées, rehaussées d’aplats de couleurs. « On ne se rend pas compte à quel point ce que l’on a regardé enfant façonne le dessin. De Goldorak à Candy pour les mangas, ou Mister Magoo et La Panthère Rose que je regardais en boucle, on retrouve des petites bribes. »
Membre de l’Atelier Pepe Martini à Rennes, il évolue aux côtés d’auteurs de BD, d’illustrateurs, de dessinateurs de presse, de coloristes, d’animateurs 3D et de réalisateurs de documentaires. Et son rôle de professeur de graphisme et d’illustration se révèle un moyen de ne pas s’endormir sur ses lauriers et de rester alerte face aux nouveautés comme l’art digital. « Être enseignant en design graphique, où l’on travaille l’affiche et la composition d’une image, m’a énormément apporté pour aborder les nouvelles bandes dessinées, notamment dans Peau d’homme », expose-t-il avant de préciser : « je n’aurais pas forcément pensé aux axonométries (mode de présentation spatiale d’une figure à trois dimensions qui consiste à projeter les trois axes de façon bidimensionnelle, ndlr.). La mise en couleurs et les aplats sont plus proche de l’illustration et l’affiche. »
Premier fan des histoires d’Hubert, Zanzim avoue avoir toujours son fantôme par-dessus son épaule. Mais contrairement au grand bavard qu’il était, comme il le souligne, le dessinateur préfère raconter par le dessin et trouver un équilibre. Il laisse la liberté aux images de s’exprimer et pour cette raison, L’Île aux femmes se rapproche de la bande-dessinée muette. Une option qu’il ne rejette d’ailleurs pas sur le long terme. « Émile Bravo fait des dessins dans des bulles. Ce n’est pas de l’écriture, mais ça aide un peu. C’est muet sans être muet », s’amuse-t-il. « Ce genre d’exercice m’intéresserait, mais j’aime aussi l’écriture. Je n’aime juste pas quand il y a trop de récits. »
Comme tout grand lecteur de bande dessinée et roman graphique, Zanzim essaie d’écrire ce qu’il aimerait lire, reproduire ce qu’il apprécie. « Il y a aussi des choses que j’adore, mais que je serais incapable de faire, des histoires trash comme celles de Charles Burns (Black Hole). C’est un univers noir dans lequel le dessin est réaliste, mais aussi design, avec des lignes claires. » Son petit péché mignon, nous avoue-t-il, étant tout de même la bande-dessinée féminine : Florence Dupré la Tour, autrice de Pucelle (tome 1 – tome 2) ou Catherine Meurisse, autrice notamment de Le Jeune femme et la mer. « La manière de travail me conforte peut-être dans ma sensibilité. C’est aussi pour cette raison que je me suis retrouvé dans l’univers d’Hubert, son hypersensibilité et le côté fleur bleue de ces histoires. »
Peut-être est-ce pour ça que la figure de la femme, sa place et son évolution au cours des siècles, devient un fil rouge dans la bibliographie de Zanzim, dont la vision s’est affinée et éclaircie au contact d’Hubert et de ses combats. La Sirène des pompiers relate la (més)aventure d’une sirène qui rencontre un peintre (raté) par qui elle est prise pour modèle et finira par être traitée tel un objet. Ma Vie Posthume dresse le portrait d’une femme qui a traversé le XXe siècle. Et L’Île aux Femmes raconte quant à elle l’aventure d’un homme coincé sur une île habitée par des femmes amazones, libres de toute forme de patriarcat. Toutes ces héroïnes traitent de l’émancipation du genre féminin et de l’égalité de genres, sujet qu’Hubert a toujours défendu. Étant lui-même homosexuel, les discriminations de genres lui étaient malheureusement familières et son empathie sincère. De l’avis de Zanzim, il s’agirait peut-être d’une forme d’identification de la part de l’auteur.
Cet engagement prégnant se traduit dans chaque histoire qu’ils ont créées. Sur fond de fantastique, elles abordent des thématiques sociétales et sociales ancrées dans notre réalité : l’industrialisation, l’acceptation de l’homosexualité, la discrimination, l’indépendance, etc. « Je suis un macho en reconversion donc oui, la place de la femme reste prépondérante et dans la prochaine bande dessinée ce sera également le cas », explique-t-il en toute franchise.
Sans en dire trop, Zanzim a laissé échapper quelques indices concernant sa prochaine bande-dessinée Grand petit homme, actuellement à l’étape du story-board. S’abreuvant d’une filmographie des années 1960 et 1970, le dessinateur se chargera pour la première fois du dessin, du scénario ainsi que de la couleur. « L’histoire se passe dans les années 60-70 et sera empreint des films de François Truffaut », confie-t-il. « C’est une période qui m’a toujours plu, que ce soit la décoration chez moi, les fringues, et aussi ce passage entre une période stricte et un lâcher prise total. »
Ce nouvel opus marquera un grand tournant dans sa carrière, mais également un sacré challenge, avoue-t-il. Une fois passé le maniérisme des débuts, un artiste, débutant ou expérimenté, a parfois besoin d’être rassuré dans son travail. Mais, « c‘est toujours une question de confiance en soi. Je n’arrête pas de le dire à mes élèves qui manquent énormément de confiance en eux. Et c’est aussi mon cas, le leur dire me rassure un peu plus », conclut-il en rigolant.
Festival Rue des livres, 12 et 13 mars 2022, Cadets de Bretagne, Rennes.
139 rue d’Antrain, 35700 Rennes
Rencontre-portrait avec Zanzim : « Parcours d’un orfèvre de la bande dessinée », dimanche 13 mars, 14 h 30, salle Armor.
Lire un extrait de Peau d’homme