Il ne devra plus y avoir d'orphelins sur cette terre Futuropolis
Il ne devra plus y avoir d'orphelins sur cette terre de Ducoudray et Azuélos, éditions Futuropolis, 2024.

Il ne devra plus y avoir d’orphelins sur cette terre : un titre énigmatique pour une BD hors norme adaptée du roman Le Compagnon de voyage de Malaparte par Aurélien Ducoudray et Thomas Azuélos. Publié aux éditions Futuropolis, voici le récit de l’exode d’un soldat italien démobilisé.

Curzio Malaparte est un écrivain italien prolifique, fantasque et contesté avec ses grands sauts idéologiques entre fascisme et communisme. Sa vie comme son œuvre sont du domaine de la démesure et la Seconde Guerre mondiale constitua le terreau idéal de son triptyque célèbre : Technique du coup d’état, Kaputt, La Peau. Aurélien Ducoudray et Thomas Azuélos adaptent avec cette BD au titre étrange, un court roman moins connu, Le Compagnon de voyage, ouvrage posthume publié en 1956 (réédité en 2009 à La Table Ronde) dans lequel l’écrivain italien poursuit sa description de la violence.

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Le Compagnon de voyage, que nous allons suivre, s’appelle Calusia. Nous sommes en Calabre en 1943 : les Alliés ont débarqué en Italie et l’armée de Mussolini est en déroute. Seul, livré à lui même, légèrement blessé, Calusa remonte chez lui vers Bergame mais en passant préalablement par Naples où il doit livrer une mystérieuse caisse sur laquelle il a gravé avec son couteau une adresse : « Palazzo Pignatelli. Napoli ». Il nous rappelle étrangement le soldat Videgrain de La Déconfiture de Rabaté qui se replie dans la débâcle de 1940 sur les routes françaises. Comme le soldat français, Calusa, accompagné d’un âne baptisé Roméo, va à la rencontre des vainqueurs, des vaincus dans un road-movie de la débâcle et de la déroute. Unique survivant d’une bataille perdue par son régiment, il n’a pas la carrure d’un héros mais plutôt celle d’un honnête homme qui fait son devoir, respectueux des ordres et de la hiérarchie. On a envie d’écrire qu’il est un homme simple si cet adjectif n’était pas chargé d’une symbolique péjorative. Préférons-lui le terme d’honnête, lui qui respecte la parole donnée comme il respecte Cancetta, jeune fille mineure, échappée d’un orphelinat et dont il refuse la nudité offerte. Elle est la première d’une série de rencontres qui balancent entre le baroque, le surréalisme, l’incongruité ou l’imaginaire telle celle avec des soldats alliés qui demandent à Calusia son arme et reçoivent un direct du droit franc et massif, sous l’admiration du lieutenant ennemi.

Il ne devra plus y avoir d'orphelins sur cette terre Futuropolis
Il ne devra plus y avoir d’orphelins sur cette terre de Ducoudray et Azuélos, éditions Futuropolis, 2024.

Le cheminement est syncopé sous forme de petits chapitres qui dévoilent à Calusia, un peu ébahi, les turpitudes de l’espèce humaine, que Malaparte a toujours voulu montrer et dénoncer. La laideur, c’est celle de ses voleurs et trafiquants du marché noir, prêts à affamer la population pour remplir leurs poches. La beauté c’est celle d’une étrange femme au visage longtemps caché sous un matelas porté sur la tête et qui révèle peu à peu ses traits comme une image d’une madone. Mariagiulia est belle comme un modèle de Modigliani qui aurait retrouvé un regard et Thomas Azuélos, avec un talent immense, lui donne une prestance intemporelle, droite, face à l’adversité et à la méchanceté des hommes. Il excelle dans le beau comme dans le laid, désarticulant une vieille mère maquerelle venue chercher sur les chemins de la débâcle de jeunes vierges, tel un personnage horrifique de James Ensor. Des références à des peintres majeurs qui témoignent de la richesse picturale de cet ouvrage qui allie les dessins à peines esquissés et minimalistes à des scènes oniriques double-pages au lavis presque monochrome ajusté par quelques taches de couleurs.

Récit et dessins s’unissent parfaitement dans une forme de récit grotesque et merveilleux où le réel côtoie la poésie et la violence comme dans les films réalistes italiens auxquels le dessinateur rend hommage en fin d’ouvrage.

Fidèle et droit Calusia va pouvoir livrer sa caisse et ouvrir la boîte de Pandore. Nourriture terrestre ou corps céleste ? Un cri et des visages effrayés donnent la réponse. Avant que Calusia ne reprenne la route avec son âne et donne également sens au titre énigmatique de cette BD si différente. Pudique et caustique.

Il ne devra plus y avoir d’orphelins sur cette terre. Récit d’Aurélien Ducoudray. Dessin de Thomas Azuélos. D’après Le Compagnon de voyage de Curzio Malaparte. Éditions Futuropolis. 110 pages. Parution : 6 mars 2024. 20€.

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Eric Rubert
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