Rennes théâtre. À Corps Rompus joue D’Amour et d’Eau Fraîche et De Ruines et de Rage

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Compagnie à corps rompus Mikaël Bernard
D'Amour et d'Eau Fraîche de Mikaël Bernard, avec Chloé Maniscalco et Marie-Laure Picard. Photo : Séphane Pisani.

La compagnie À Corps Rompus présentera ses spectacles D’Amour et d’Eau Fraîche le 15 février 2024 et De Ruines et de Rage le 14 mars 2024 au Tambour de l’université Rennes 2. Rencontre avec le metteur en scène et directeur artistique de la compagnie, Mikaël Bernard

Cette année, le service culturel de l’Université de Rennes 2 propose deux spectacles de la Compagnie À Corps Rompus : D’Amour et d’Eau Fraîche et De Ruines et de Rage, tous deux mis en scène par Mikaël Bernard, directeur artistique de la compagnie. Ces deux formes courtes explorent pour l’une la thématique du désir et pour l’autre, celle de la révolte. Au plateau, Chloé Maniscalco profère des mots, ceux d’auteurs et d’autrices contemporaines. Des mots qui ne sont pas empruntés au théâtre, mais à tous les genres : essais, coupures de journaux, poésies, voire même des extraits issus des réseaux sociaux. La comédienne partage la scène avec Marie-Laure Picard qui joue en live une performance musicale. 

Mikaël Bernard.
Mikaël Bernard. Photo : Louise Quignon

Unidivers – Pouvez-vous nous raconter comment s’est produite votre découverte du théâtre  ? 

Mikaël Bernard – Je dirais que ma découverte du théâtre date du collège. Ce qui a vraiment fini de me donner envie, c’est le lycée : on avait commencé à travailler Les 81 minutes de mademoiselle A. de Lothar Troll mélangé à Débrayage de Rémi De Vos. C’est de là qu’est né mon amour pour les textes contemporains. J’avais également eu l’occasion de faire une partie de la mise en scène par la suite. Le fait de ne pas forcément être au plateau m’a fait comprendre que ça me plaisait beaucoup. Et puis, des gens du lycée étaient déjà partis à l’université Rennes 2 en Arts du spectacle donc je savais que c’était possible. 

Unidivers – En 2015, vous créez votre propre compagnie et défendez avec elle l’idée de porter des textes d’auteurs et d’autrices vivant.e.s. Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre en évidence ce choix artistique au sein de votre compagnie ? 

Mikaël Bernard – Il y a plusieurs raisons. D’abord, parce que je pense que les auteurs et les autrices vivant.e.s ont besoin d’argent pour vivre et donc pour ça, il faut jouer leurs textes, les monter. Je ne pense pas que Molière ait besoin d’argent [Rires]. La deuxième chose, c’est que, même si l’on peut décaler des anciens textes qui peuvent avoir une résonance actuelle – ce dont je ne doute absolument pas – je pense aussi qu’on ne dit jamais mieux le monde d’aujourd’hui qu’avec les mots d’aujourd’hui. Et puis, ce qui m’anime, c’est la découverte, la cuiriosité personnelle. Moi, j’ai le temps – et c’est mon métier – d’aller chercher des textes que peu de monde connaît, mais tout le monde ne peut pas prendre ce temps là. Personne n’a besoin de moi pour découvrir Molière, mais peut-être que je peux amener ma petite pierre à l’édifice en faisant connaître un auteur ou une autrice. 

Unidivers – Le nom choisi pour votre compagnie est « À corps rompus » : quelle est la symbolique derrière ce nom ? Reflète-t-il une part du travail théâtral entrepris au sein de la compagnie ? 

Mikaël Bernard – Le nom de la compagnie vient de l’expression « à bâtons rompus », dont l’idée traverse vraiment mon travail : le rythme mais aussi mon avidité à traverser pleins de sujets. Peut-être qu’un jour je n’aurai plus grand chose à dire, mais pour l’instant j’ai plus l’impression que je n’aurai jamais assez de temps pour tout traverser ! J’avais remplacé « bâtons » par « corps » car, bien que l’on puisse découvrir un texte par la lecture, notre moyen de le partager au théâtre, c’est le corps ; là où la voix est proférée. La présence du corps, sa chorégraphie est importante dans mon travail, sans pour autant avoir été formé à la danse. Il y a un rapport esthétisant au corps qu’on ne voit pas toujours au théâtre.

Compagnie à corps rompus Mikaël Bernard
D’Amour et d’Eau Fraîche de Mikaël Bernard, avec Chloé Maniscalco et Marie-Laure Picard. Photo : Séphane Pisani.

Unidivers – Comment est née l’idée de votre spectacle De Ruines et de Rages

Mikaël Bernard – En 2016, l’association d’émergence sur le territoire Houraillis, portée par Delphine Battour, Jade Bechtel et Alice Laurent, avait un festival nommé Vacarme pour donner la parole à des artistes émergents : elles m’ont donné une carte blanche. J’avais de nombreuses lectures qui me parlaient. Je sentais que ces textes forts pouvaient parler à d’autres gens mais, en même temps, je ne pouvais pas monter des textes aussi courts, d’autant plus dans l’écosystème de production théâtrale actuel. Je crois aussi que toute matière peut faire théâtre : j’avais donc envie d’explorer. Le dispositif n’était pas celui que l’on connaît aujourd’hui dans De Ruines et de Rage : il y avait un décor, du jeu, des morceaux de costumes… En 2019, on m’a redonné une carte blanche pour le Festival Audaces à Arras. On y a fait une première lecture de Métmorphoses et on a rejoué De ruines et de Rage. C’est là où j’ai proposé à Chloé Maniscalco de travailler avec Marie-Laure Picard. Des textes ont été retirés, d’autres ajoutés, la dramaturgie a été refaite.

Unidivers – Vos deux spectacles sont présentés en tant que diptyque : pourquoi ce choix ? 

Mikaël Bernard – À l’origine ce n’était pas un diptyque. En 2022, on a rejoué De Ruines et de Rage et la compagnie a été sélectionnée par Vallons de Haute Bretagne communauté pour mener une résidence mission pendant deux ans. Dans ce cadre là, il y a des actions culturelles, de la diffusion et de la production. On avait toujours parlé d’un numéro deux. Pendant longtemps, je pensais qu’il traiterait de la thématique queer. Entre temps, Métamorphoses 2.0 a été créé, j’avais donc abordé ce qui m’intéressait à ce sujet. La notion de désir me semblait plus large, nous avons alors créé D’Amour et d’Eau Fraîche.  J’aime beaucoup le trio qu’on forme avec Marie-Laure [Picard] et Chloé [Maniscalco] et le quatuor en période de création avec Stéphane [Pisani]. Je trouve que ça se tient, qu’on a trouvé une formule qui fonctionne. Je ne vais pas pousser les choses, il faut trouver la thématique, mais peut-être qu’un jour, ce sera un triptyque.

Compagnie à corps rompus Mikaël Bernard
D’Amour et d’Eau Fraîche de Mikaël Bernard, avec Chloé Maniscalco et Marie-Laure Picard. Photo : Séphane Pisani.

Unindivers – D’ailleurs, pourquoi ces choix de titres à la syntaxe similaire ? 

Mikaël Bernard – Le titre de De Ruines et de Rage vient du recueil De la destruction d’Amandine André. Un de ses textes de l’ouvrage est présent dans le spectacle : « Imprécation, premier mouvement ». Dans un autre on peut y lire « de ruines et de rage ». C’est hyper imagé, ce qui m’a beaucoup plu. Ensuite, j’ai trouvé ça bien de rester sur la même structure de phrase : l’expression « d’amour et d’eau fraîche » m’a tout de suite interpelé. Si jamais on fait un triptyque, j’espère trouver une formule similaire. 

Unidivers – Au sein des auteur.ice.s présent.e.s dans les deux performances, il y a quelques œuvres de théâtre. Qu’en est-il de ces choix ?

Mikaël Bernard – Je repense à une phrase que Philippe Malone m’avait dit à l’époque où je montais Krash. Lorsqu’il écrivait un texte, c’était les maisons d’édition qui choisissaient dans quel genre il était ensuite placé. Donc, même si certaines œuvres sont classées au genre théâtral, leurs formes ne le sont pas pour autant. Nous les vagues de Mariette Navarro est peut-être le seul texte de théâtre que l’on a sélectionné : les autres sont des coupures de presse, des essais, des extraits de réseaux sociaux, de la poésie, etc.  Ce qui est important pour moi, c’est de voir comment Chloé porte ces textes et les profère, quelle substance cela donne aux textes de les entendre. La création que fait Marie-Laure en parallèle est liée et révèle quelque chose du texte : sa rythmique, sa puissance… 

Unidivers – Comment le travail de création s’articule-t-il autour de cette idée de travailler des textes contemporains, notamment pour d’Amour et d’Eau Fraîche et De Ruines et de Rage

Mikaël Bernard – Pour ces deux spectacles, il n’y a qu’une dizaine de textes sélectionnés bien que j’en aie lu plus d’une quinzaine auparavant. Certains ont été écartés, d’autres n’ont pas trouvé leur place. Le premier travail est donc de sélection, puis de dramaturgie et finalement d’agencement. Je dirais que pour D’Amour et d’Eau fraîche, j’essaie d’obtenir une sorte de crescendo, où l’on commence par les thématiques les plus lourdes. Le spectacle s’ouvre avec la question du consentement et se finit par une célébration de l’amour. Tandis que pour De Ruines et de Rage, on est plutôt sur une sorte d’explosion à la fin. 

Compagnie à corps rompus Mikaël Bernard
D’Amour et d’Eau Fraîche de Mikaël Bernard, avec Chloé Maniscalco et Marie-Laure Picard. Photo : Séphane Pisani.

Unidivers – Comment la musique, omniprésente dans vos deux spectacles, a-t-elle un impact sur les corps, mais également sur les mots énoncés par Chloé Maniscalco  ? 

Mikaël Bernard – Dans De ruines et de rages, il y a moins de lien pour l’instant : le spectacle commence par une sorte de quiproquos entre elles deux. On a voulu jouer sur le début du texte de Mariette Navarro. Dans D’Amour et d’eau fraîche, Chloé bouge vraiment, elle se met à danser. Et puis Marie-Laure incarne aussi. Ce que j’aime avec ce spectacle c’est que, l’ayant joué dans des endroits très différents et dans pleins de conditions différentes, on voit un lien se créer avec les spectateurs. C’est d’ailleurs quasiment systématique que des gens viennent nous voir pour nous demander les noms des textes qui les touchent, ce qui est très beau à voir. 

Unidivers – Vous avez beaucoup de spectacles en diffusion, mais la compagnie travaille également à une nouvelle création, Viendra le temps du feu

Mikaël Bernard – C’est l’adaptation du roman Viendra le temps du feu de Wendy Delorme. J’ai fait l’adaptation avec Damien Gabriac. C’est un roman dystopique et féministe, voire même écoféministe. Il est question de l’avènement d’un pouvoir totalitaire qui oblige à faire du « réarmement démographique » puisque, suite à la crise climatique, la jeunesse pour le climat se mobilise mais rien ne se passe : une grande vague de suicide a lieu. Là-dessus arrive le pouvoir autoritaire qui, pour rattraper la génération perdue, oblige les jeunes à faire des enfants. Qui dit obliger à faire des enfants, dit contrôler le corps des femmes, contrôler la culture et les informations. C’est un roman sur la résistance et l’importance de la littérature. Ce n’est pas pour tout de suite, c’est pour 2025-2026, mais on fera une première étape cette année au Festival Mythos en avril 2024 et probablement la saison prochaine. 

Unidivers – Je vous remercie Mikaël Bernard.

Compagnie à corps rompus Mikaël Bernard
De Ruines et de rage de Mikaël Bernard, avec Chloé Maniscalco et Marie-Laure Picard. Photo : Séphane Pisani.

D’Amour et d’Eau Fraîche le 15 février 2024 à 20h et De Ruines et de Rage le 14 mars 2024 à 20h au Tambour

Campus de Villejean, Le Tambour (bât. O) / À partir de 14 ans / Durée : 55min

Tarifs : 15€ / 5€ / SORTIR! 3€ /Gratuit pour les étudiant·es des universités de Rennes

Réservation pour D’Amour et d’Eau Fraîche / Réservation pour De Ruines et de Rage

Atelier d’arpentage avec Mikaël Bernard le jeudi 15 février / 18h – 19h / Salle 0210 / S’inscrire

Site de la Compagnie À Corps Rompus

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