Le magnifique et très émouvant essai de Claire Zalc, Dénaturalisés : le retrait des nationalités sous Vichy, paru en octobre 2016, s’ouvre sur l’aventure familiale de David et Ela Bienenfeld, couple de juifs polonais, de leurs trois enfants et de leur neveu, orphelin de père et de mère, un certain Georges Perec.
Grâce à la loi du 10 août 1927 qui autorise les étrangers à prendre la nationalité française après trois ans de présence sur le territoire, les Bienenfeld deviennent Français sur décision administrative du 23 décembre 1927. L’histoire, hélas, ne s’achèvera pas là pour eux et le cas Bienenfeld ne sera que l’une des aventures familiales, en proie à l’administration vichyste, parmi des milliers d’autres, malheureuses et tragiques, qui jalonnent le livre de Claire Zalc.
La loi du 22 juillet 1940, promulguée par le régime de Vichy, ordonnera en effet la révision de toutes les naturalisations acquise depuis 1927. Le dossier Bienenfeld est donc réexaminé et augmenté de la mention « Israélite ». Au printemps 1941, David, Ela et leurs enfants ne sont donc plus Français, à l’exception de Bianca, l’une de leurs filles mariée à un Français de souche, et devenue Bianca Lamblin.
Les courriers de David Bienenfeld assurant la Commission de dénaturalisation et la préfecture de son profond attachement à la France, rappelant le rôle de son épouse, infirmière pendant la guerre, et la mort de son beau-frère, André Perec, mort pour la France en juin 1940, n’y feront rien. Les Bienenfeld s’enfuiront alors et se cacheront en Isère avec leurs enfants et leur neveu, échappant ainsi à une probable déportation. À la Libération, ils retrouveront leur qualité de citoyen français.
De 1927 à 1940, 650 000 personnes arrivées d’Europe du Sud et de l’Est sont devenues françaises. La loi imposée par le Maréchal Pétain menaçait à présent du retrait de nationalité près d’un million de personnes. Nombre de juifs parmi eux, repérés sommairement par leur patronyme ou leurs métiers, seront les cibles majeures.
Ce faisant, les dénaturalisations ont participé à la mise en œuvre sur le territoire français de la Solution finale. (Claire Zalc).
Certains personnels préfectoraux en charge des dénaturalisations (souvent les mêmes qui, en 1927, étaient chargés des naturalisations) ont appliqué avec zèle les consignes antisémites. Il est vrai aussi, souligne Claire Zalc, que « d’autres freinent la cadence, multiplient les décisions de maintien et font d’une certaine manière de la résistance en coulisse […]. Ces agents sont [en effet] dotés d’un pouvoir décisionnel considérable du fait de l’absence de contrôle parlementaire et juridictionnel ».
L’étude de Claire Zalc est construite, dit-elle, « à ras des dossiers ». Elle décortique les logiques administratives, le déploiement de la machine bureaucratique, cette « forme ordinaire de la violence d’État », le fonctionnement de la Commission, les enquêtes menées sur le patriotisme et la moralité des dénaturalisés. Pris dans le faisceau de la Commission, ces malheureux écriront aux autorités administratives pour dire la douleur de leur sort et leur désir de rester Français. Vainement. Entre des milliers d’autres, Clara Abramowicz enverra, elle aussi, une lettre poignante au Président de la Commission qui n’aboutira qu’à un froid et terrible rapport du Préfet de police : « Bien que l’intéressée et sa famille ne fassent l’objet d’aucune remarque défavorable, j’estime que leur retour dans la communauté française ne présente aucun intérêt ». Clara, embarquée dans le convoi n° 50 le 4 mars 1943 à Drancy, achèvera sa vie au camp de Majdanek en Pologne.
Dénaturalisés : Les retraits de nationalité sous Vichy par Claire Zalc. Sciences humaines. Histoire. L’Univers historique. Date de parution 22/09/2016. 24.00 € TTC. 400 pages.
Claire Zalc est directrice de recherches à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (CNRS-ENS). Elle a publié Face à la persécution. 991 Juifs dans la guerre, avec Nicolas Mariot (Odile Jacob, 2010) et Melting Shops. Une histoire des commerçants étrangers en France (Perrin, 2010). Elle a dirigé, avec Tal Bruttmann, Ivan Ermakoff et Nicolas Mariot, Pour une microhistoire de la Shoah (Seuil, 2012).