Après Julie Brochen (2004), Marcel Maréchal (2010), Alain Francon (2012), Christian Benedetti (2012), Eric Lacascade propose une adaptation d’un texte issu de Oncle Vania de Tchekhov et de son « brouillon » traduit sous le tire de Le Sylvain, Le Sauvage, Le génie des forêts ou, encore, L’homme des bois. Cette mise en scène place le spectateur devant la contradiction fondamentale du théâtre tchékhovien : d’un côté, le désir de l’auteur d’écrire des comédies ; de l’autre, la réalisation scénique imposée par Stanislavsky qui met l’accent sur le ressort réaliste.
De fait, la mise en scène d’Éric Lacascade hésite entre les deux. Faisant fi de la campagne russe aux vastes espaces, l’horizon y est bouché par de grands panneaux qui s’écartent rarement sur une trouée. S’y joue la tragicomédie des vies ratées. Celle de Sérébriakov, intellectuel vieillissant et accompagné d’une jeune femme qu’il a déjà déçue. Celle-ci s’ennuie, cherche un dérivatif avec le médecin du coin, Astrov (remarquable Jérome Bidaux), lui-même démoralisé par la misère crasse qui l’entoure, mais, amoureux de la forêt qui lui inspire un pesant discours « écolo ».
La propriété, dans laquelle ce petit monde vibrionne, appartient à Sonia (Millaray Lobos Garcia, excellente actrice mais à la prononciation parfois difficile à comprendre). Fille du premier mariage de Sérébriakov, elle est laide et amoureuse d’Astrov qui n’a pour elle aucune attention. Y vit aussi oncle Vania, le frère de Sérébriakov – dernier avatar de la figure d’intellectuel qu’est Ivanov chez Tchékhov. L’idéal de Vania n’est plus « socialisant », mais consiste à servir (en compagnie de Sonia) en tant qu’humbles collaborateurs de l’œuvre de son frère Sérébriakov qu’il a longtemps cru… « géniale ».
Ce milieu, somme toute pitoyable, décrit par Tchékhov parvient à faire rire le lecteur. Dans sa version scénique, Lacascade réussit bon an mal an à souligner le comique des situations à travers une machine réglée comme chez un Feydeau métaphysique : celle des amours ratées et des espoirs déçus. Malheureusement, il ne va pas jusqu’au bout en ne restituant pas la dimension de comique réfléchissant propre au théâtre tchékhovien.
Au contraire, le metteur en scène installe un ersatz de spleen slave, symbolisé à la fin – comble du kitsch – par le bandonéon d’oncle Vania qui vient rythmer la mélopée de Sonia sur le repos final. Là où le comique est censé être à son comble… aucun spectateur ne rit !
Indépendamment des prestations remarquables de Ioulia (Laure Werckmann) et Fedia (Arnaud Chéron), l’impossibilité d’Eric Lacascade à surmonter la contradiction voulue entre le tragique mesquin des situations et l’ironie de Tchékhov fait éclater sa mise en scène en une suite de scènes souvent trop lentes que le spectateur regarde sans y participer. Cette faiblesse dessert la vison d’Oncle Vania : le délitement d’un monde dépassé face à la montée d’un nouveau. Celui qu’incarne et symbolise Ermolaï Lopakhine dans la Cerisaie.
Oncle Vania d’Anton Tchékhov traduit par André Markovicz et Françoise Morvan, mis en scène par Eric Lacascade.
Création au TNB de Rennes, Salle Vilar, du 18 février au 1er mars 2014, du 1 au 5 décembre 2014, durée 2h45
La traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan est publiée aux éditions Babel Actes-Sud
avec Jérôme Bidaux (Astrov), Jean Boissery (Orlovski), Arnaud Chéron (Fédor), Arnaud Churin (Téléguine), Alain d’Haeyer (Vania), Stéphane E. Jais (Jeltoukhine), Ambre Kahan (Éléna), Millaray Lobos Garcia (Sonia), Jean-Baptiste Malartre (Sérébriakov), Maud Rayer (Maria Vassilievna), Laure Werckmann (Youlia)
production déléguée Théâtre National de Bretagne/Rennes
coproduction Compagnie Lacascade ; Théâtre de la Ville – Paris ; Maison de la Culture de Bourges
collaboration artistique Daria Lippi, Éric Didry
scénographie Emmanuel Clolus
lumières Philippe Berthomé
costumes Marguerite Bordat
son Marc Bretonnière
assistante à la mise en scène Noémie Rosenblatt