Texture est de retour avec une nouvelle sortie de son label TXTR Recordings. La compilation Texture Variations Vol. 3, parue le 16 mars 2022, continue d’explorer les esthétiques musicales chères au collectif rennais. Après la house et la techno, styles majoritairement représentés dans ses événements, joués et produits par ses artistes résidents, c’est au tour de l’electro d’être mis en avant, avec un panel d’artistes venus essentiellement de la région.
Huit ans après sa création, le collectif Texture continue de s’affairer, s’affirmant de plus en plus comme la figure de proue des musiques électroniques à Rennes. Après avoir animé les tiers-lieux de la capitale bretonne à l’été 2021 et annoncé la nouvelle édition de leur festival pour juillet 2022, c’est avec leur label TXTR Recordings que les Rennais font à nouveau parler d’eux. Le 16 mars 2022 paraissait le troisième volume de Texture Variations, une série de compilations qui se veut la vitrine des styles qu’affectionne le collectif. Après l’évidence de la house et la techno pour les deux premiers volumes, Texture s’attaque à l’electro.
À ne pas confondre avec l’abréviation “électro” communément employée pour parler des musiques électroniques, l’electro, écrit à l’anglaise, sans accent, est un des premiers styles établis de musique électronique. Appelé au départ electro-funk, electro-boogie, electro hip hop, ou encore robot funk, quand il naît à Detroit dans les années 1980, le style se caractérise par des rythmiques syncopées usant de boîtes à rythmes, la TR-808 de Roland notamment, et de samples dérivés du funk. Très proche du hip hop au départ, l’electro partage avec ce dernier la figure d’Afrika Bambaataa, pionnier de ces deux styles, fortement inspiré par l’œuvre des Allemands de Kraftwerk. Années 1980 obligent, l’electro naît avec en arrière-plan la course à l’espace, l’imaginaire des machines et plus largement l’univers futuriste et la science-fiction de plus en plus populaire. On le retrouve par exemple dans l’œuvre des duos Cybotron et Aux 88.
Essentiel dans la naissance de la house et de la techno, l’electro a été quelque peu éclipsé par ces nouveaux styles, plus dansants, aux rythmes réguliers, dits “4-4” ou “four-on-the-floor”. Cette rythmique popularisée par la disco a pour base deux mesures de quatre temps, chacun étant marqué par un kick (une grosse caisse de batterie ou un équivalent électronique). Elle est donc plus fluide, et par-là accessible, que les rythmes syncopés, basés sur le break (l’interruption du flux rythmique), comme on en trouve dans l’electro et d’autres styles nés dans les années 1990, notamment en Angleterre, comme le breakbeat, le breakcore, le broken beat et la famille bass music (drum’n’bass, jungle, dubstep, etc.).
Alors que la house et la techno s’épanouissent et prennent le devant de la scène dans les clubs, rave parties et festivals, l’electro poursuit son chemin plus confidentiellement, tapi dans une niche pourtant bien vivante. Mais le succès des musiques électroniques pendant la décennie 2010 participe à leur démocratisation, à une meilleure connaissance de son histoire et de ses variétés. La scène électronique actuelle a donc eu tendance à se diversifier notamment en replongeant dans les sonorités fondatrices du genre, celles qui ont fait l’euphorie et la folie des clubs et des rave dans les années 1980 et 1990 : parmi elles, l’ancêtre disco évidemment, son dérivé européen l’italo disco, l’EBM (Electronic Body Music), la trance, l’eurodance et évidemment l’electro.
Ainsi, on a vu émerger ces dernières années en France des collectifs et labels défendant ces couleurs d’antan remises au goût du jour. Citons par exemple l’excellent Nocta Numerica Records, en activité depuis 2015. La Bretagne n’est pas en reste dans le domaine, avec des labels comme Electronic Consortium, Tannhaüser Gate, Human Disease Network, Dans la zone, ou le collectif rennais Breakboost, qui lie electro et bass music. Parmi le collectif Texture, cette ouverture s’est observée en premier lieu chez Evenn, DJ et producteur house, venu du hip hop, et qui se dirige assez naturellement vers des sons plus electro, avec notamment son EP Thuggin’, paru en 2020 sur le label Charbon.
Aujourd’hui c’est toute une compilation que Texture dédie au genre, huit titres dont trois sont signés de résidents du collectif : les membres fondateurs Evenn, H.Mess et le nouveau venu Fjärsing. Le reste du panel fait la part belle à des artistes locaux : le désormais bien connu Blutch, A-Sim, patron du label Human Disease Network, prolifique et très porté sur l’electro, et Nocho, signé sur les labels finistériens Tannhaüser Gate et Dans la zone. On y retrouve encore Adam BFD, autrefois Rennais du collectif ÖND, désormais installé à Paris et récent auteur de deux EP sur le prestigieux label londonien Lobster Theremin. Et pour ouvrir le bal, le mystérieux BBB, introuvable ou presque sur la toile, apparu il semblerait avec une première sortie en janvier 2021 sur Human Disease Network, et qui serait le side-project secret d’un artiste s’étant déjà produit lors d’un événement Texture…
C’est donc une alléchante vitrine de talents locaux et français que présente TXTR Recordings dans ce nouveau volume de Texture Variations. Il donne au passage un bon aperçu de la richesse et de la variété de l’univers electro tel qu’il s’épanouit aujourd’hui : minimal, acid et rêveur chez BBB, solaire, mélodique et mélancolique chez Blutch, tout aussi envoûtant bien que plus porté sur le beakbeat chez Adam BFD, aérien et hypnotique chez Nocho, il se fait plus nerveux et agressif chez A-Sim et Evenn, downtempo chez H.Mess, et virant à l’ambient cinématographique chez Fjärsing. Active depuis plus de 40 ans, la scène electro témoigne au travers de cette nouvelle compilation qu’elle a encore de beaux jours, et de belles nuits devant elle.