Goudron contre reblochon : guerre des croûtes sur l’A412

A412

Parmi les conflits d’infrastructure qui sentent le goudron chaud, rares sont ceux qui embaument aussi intensément le lait cru, la flore de montagne et le lait du matin. Bienvenue en Haute-Savoie, où l’A412, future autoroute de 16,6 km, affronte un adversaire inattendu : le reblochon. Et le reblochon, on ne le pousse pas dans les orties sans conséquences.

Un fromage en danger de mort géographique

Censée relier Machilly à Thonon-les-Bains d’ici 2029, l’A412 est un projet routier d’un autre siècle qui fait grincer les pioches et siffler les faux. Outre son coût estimé à 370 millions d’euros, elle menace directement plus de 50 hectares de terres agricoles, dont une part précieuse est dédiée à la production d’AOP reblochon (source : FNE Haute-Savoie). En clair : 75 000 fromages en moins par an. C’est-à-dire autant de tartiflettes amputées, de raclettes amputées, de vies amputées. Dans la région, la consternation est palpable : « Si on goudronne les pâturages, le lait sentira le diesel », ironise un éleveur du Chablais sur une pancarte lors de la dernière mobilisation.

Un projet fossile face à des résistances bien mûres

Les collectifs écologistes (Stop A412, Les Soulèvements de la Terre, FNE AURA) ne s’y sont pas trompés : ce projet est vu comme un dinosaure carboné s’invitant à l’heure de la transition écologique. Dans les forêts visées par le tracé, on recense plusieurs espèces protégées, dont certaines particulièrement incompatibles avec le passage de semi-remorques : salamandres tachetées, chauves-souris, promeneurs du dimanche…

Mais ce qui fédère les colères, c’est l’absurde confrontation entre deux visions du territoire :

  • D’un côté, la logique du « toujours plus vite » pour gagner 8 minutes entre Genève et Thonon.
  • De l’autre, le temps lent du lait qui caille, des alpages à traire, des saisons à respecter, et de l’agriculture de montagne à préserver.

Comme le résume une pancarte vue lors d’une manifestation en novembre 2024 :
« Moins d’asphalte, plus de croûte fleurie. »

A412

Une guerre de mots et de mottes

Le conflit a rapidement pris une tournure presque comique — si elle n’était tragique. Des panneaux autoroutiers fictifs fleurissent en Haute-Savoie :
« A412 – Sortie Reblochon Interdit »,
« Aire de pique-nique goudronnée, sans vache ni prairie ».

Les militants, eux, manient l’humour aussi bien que la fourche :
– Campagnes parodiques : « Roulez sur le reblochon, mais pas au sens propre »
– Manifestations costumées : des cowsplayeurs habillés en tommes affrontant de faux pelleteuses
– Et bientôt peut-être : un blocage de route avec des meules.

Une autoroute pour quoi ? Pour qui ?

Le débat soulève une question plus vaste : à qui profitent encore les nouvelles autoroutes en 2025 ? Alors que les ZFE s’installent, que le rail régional peine à se moderniser, et que les Français mangent de plus en plus bio et local, faut-il vraiment sacrifier des AOP pour que les SUV allemands gagnent quelques minutes vers les stations de ski ? Les opposants, eux, répondent avec une certaine forme de sagesse culinaire : « Ce n’est pas en bitumant les champs qu’on nourrira la France. »

Le mot de la fin : attention, fromage sensible

Il paraît que l’AOP Reblochon exige une altitude précise, une herbe particulière, et des vaches qui connaissent leur alpage. À ce degré de délicatesse, on ne peut pas jouer aux bulldozers sans provoquer un effondrement géo-fromager. L’A412 risque donc de faire bien plus que raccorder deux villes : elle pourrait dissoudre une culture locale à coups de pelleteuses. Alors, à tous les ministres de la transition qui aiment finir leur raclette par une belle part de reblochon bien affiné : vous avez encore le choix entre une autoroute ou une région qui sent bon le lait cru.

Vous pouvez consulter la présentation par la préfecture de Haute-Savoie ici