Il aura fallu neuf ans de procédures, de mobilisations citoyennes, de contre-enquêtes écologiques et d’attente douloureuse pour la famille de Jean-René Auffray. Ce mardi 24 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a rendu un arrêt aussi symbolique qu’inédit : l’État français est reconnu responsable à 60 % du décès de ce joggeur retrouvé mort envasé dans un secteur envahi d’algues vertes, à Hillion (Côtes-d’Armor), le 8 septembre 2016.
Ce jugement marque une avancée historique dans la reconnaissance du danger que représentent les marées vertes pour la santé humaine, mais aussi dans l’attribution des responsabilités entre collectivités locales, agriculteurs et l’État. La juridiction nantaise a condamné ce dernier à verser une indemnité à la famille du défunt pour « carence fautive ». Une faute, donc, de ne pas avoir mis en œuvre les mesures suffisantes pour prévenir un risque connu depuis plusieurs décennies.
Une mort dans la vase… et dans le silence ?
Jean-René Auffray, 50 ans, passionné de sport et fin connaisseur des sentiers côtiers, était parti courir le long de l’estuaire du Gouessant, entre terre et mer. Son corps avait été retrouvé envasé, sans signes apparents de lutte. Dès l’origine, la famille avait suspecté un lien avec les émanations d’hydrogène sulfuré (H2S) produites par la putréfaction des algues vertes, un gaz hautement toxique pouvant provoquer une perte de connaissance en quelques secondes. L’enquête médico-légale, puis plusieurs expertises, ont conforté cette hypothèse.
Le tribunal relève que l’État, malgré sa connaissance du phénomène et de ses dangers mortels (confirmés depuis la mort de plusieurs sangliers et chevaux dans des conditions similaires), « n’a pas suffisamment encadré ou prévenu les risques encourus par les usagers du littoral ». Une inaction jugée d’autant plus grave que le site d’Hillion était identifié de longue date comme un point noir des marées vertes en Bretagne.
Algues vertes : un scandale sanitaire et politique persistant
La condamnation de l’État dans cette affaire relance le débat autour de la prolifération des algues vertes en Bretagne, nourries en grande partie par les excédents de nitrates agricoles (rejets d’engrais et d’effluents d’élevage). Malgré les plans gouvernementaux successifs, la situation reste critique sur plusieurs secteurs côtiers. Selon les données de l’Observatoire de l’environnement en Bretagne, près de 80 sites sont touchés de manière chronique.
Pour les associations environnementales, cette décision est un tournant : « C’est la première fois que la justice établit un lien direct entre l’inaction de l’État et une mort humaine », commente un responsable d’Eau et Rivières de Bretagne. « Cela ouvre la voie à d’autres recours, mais surtout à une prise de conscience politique qui tarde encore. »
Vers une politique de prévention plus contraignante ?
Au-delà de la condamnation, la cour administrative a également enjoint à l’État de renforcer ses actions de lutte contre les algues vertes, notamment en encadrant plus fermement les pratiques agricoles dans les zones à risque. Cette injonction s’inscrit dans un contexte plus large de revendications écologiques et sanitaires qui dénoncent depuis des années la complaisance des autorités envers l’agro-industrie bretonne.
La préfecture, de son côté, n’a pas encore indiqué si elle comptait se pourvoir en cassation. L’indemnisation à verser à la famille de Jean-René Auffray n’est pas encore précisée dans le détail, mais pourrait s’élever à plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Un précédent qui fera date
Cette décision de justice pourrait faire jurisprudence. D’autres familles, d’autres associations, pourraient désormais se tourner vers les tribunaux pour faire reconnaître les conséquences sanitaires, environnementales et économiques de la prolifération des algues vertes. En Bretagne, mais aussi ailleurs sur le littoral atlantique et en Manche, où le phénomène ne cesse de s’étendre.
En condamnant l’État, la cour n’a pas simplement établi une responsabilité : elle a aussi lancé un avertissement. Le droit peut être un levier face aux inerties politiques. Et la mémoire des victimes, comme Jean-René Auffray, peut devenir une force pour réveiller les consciences et redessiner les lignes d’un avenir plus soutenable sur nos côtes.