Au croisement du militantisme ouvrier, de la solidarité de quartier et d’un rêve collectif de dignité, L’Après M est plus qu’un simple fast-food alternatif. C’est une œuvre politique, humaine et nourricière, née des cendres d’un conflit contre une multinationale emblématique du capitalisme mondialisé : McDonald’s.
McDonald’s dans les quartiers nord : mirage et ascension
Dans les quartiers nord de Marseille, où le chômage des jeunes dépasse les 30 %, l’installation d’un McDonald’s à Saint-Barthélemy dans les années 2000 avait tout d’une promesse de respectabilité. Pour Kamel Guemari, enfant du quartier, marqué par la précarité et les embûches scolaires, être recruté par la multinationale relevait presque du miracle : « Je voulais juste un boulot respectable », dit-il.
Entré comme simple employé, il y découvre un esprit d’équipe inattendu, presque familial. L’entreprise devient pour lui un espace d’apprentissage, d’émancipation personnelle et de construction d’une dignité professionnelle.
Du rêve au syndicalisme : les bras qui produisent la richesse
Mais la découverte de l’envers du décor – cadences épuisantes, salaires stagnants, conditions de travail rigides – pousse Kamel à se syndiquer. Sans formation politique, fort seulement de ce qu’il appelle la « formation de la rue », il entre en lutte, au nom d’une conviction simple : la richesse produite par les petits bras doit être partagée équitablement.
Les revendications portent leurs fruits. Meilleures conditions de travail, hausses de salaires, organisation collective… mais les victoires irritent. En devenant trop visibles, les militants du McDo de St-Barthélemy deviennent gênants pour la direction de la franchise. La tension monte, jusqu’à se transformer en conflit ouvert.
La fermeture du McDo : une bataille de trop ?
En 2019, la franchise ferme brutalement. Un choc pour les salariés, mais aussi pour les habitants du quartier, qui voient disparaître l’un des rares employeurs stables et l’un des seuls lieux de sociabilité accessibles aux jeunes.
C’est alors qu’émerge une idée folle : racheter le lieu, le faire revivre, mais autrement.
L’Après M : renaissance sociale d’un symbole du capitalisme
Sous l’impulsion de Kamel Guemari et d’une dizaine d’anciens salariés, soutenus par des collectifs citoyens, associations et figures politiques, l’ancien fast-food devient L’Après M : une coopérative nourrie de principes solidaires et de dignité ouvrière. On y sert encore des burgers, mais à prix bas. On y redistribue des colis alimentaires. On y organise des maraudes. L’idée ? Créer un fast social food, ni caritatif ni lucratif, mais ancré dans les besoins réels du quartier.
« C’est un lieu d’utopie, là où les rêves se réalisent », affirme Kamel. Ce rêve, c’est celui d’un quartier qui se prend en main, qui refuse l’économie parallèle comme seule échappatoire, qui fait le pari d’une économie populaire au service des plus fragiles.
Un symbole national de résistance ouvrière
Le combat de L’Après M a eu un écho dans toute la France. Soutenu par des élus de gauche, des artistes, des intellectuels, le projet a été perçu comme une réponse concrète à la désindustrialisation et à la casse sociale. Il a aussi symbolisé la capacité des quartiers populaires à se réinventer en dehors des logiques descendantes de l’État ou des grandes ONG.
Le lieu devient un modèle : autogestion, gouvernance horizontale, embauche locale, circuits courts, tout est repensé dans une perspective à la fois écologique et sociale.
Une utopie fragile, mais tenace
L’avenir de L’Après M reste incertain. Les équilibres financiers sont précaires, les aides publiques insuffisantes, la concurrence toujours présente. Mais ce qui compte, pour ceux qui l’animent, c’est l’élan collectif, le refus de la résignation, la preuve qu’un autre fast-food, un autre monde est possible – même à Saint-Barthélemy.
Kamel Guemari, lui, continue de transmettre, de raconter, d’inspirer. Il parle d’éducation populaire, de dignité ouvrière, de justice. Et lorsqu’il évoque le syndicalisme, ce n’est pas en technocrate mais en poète de la fraternité : « On ne gagne pas toujours. Mais on montre qu’on peut se battre. Et qu’on n’est pas seuls. »
Dans un reportage sensible de Les Pieds sur terre (France Culture), la journaliste Sophie Simonot retrace le parcours de Kamel Guemari, figure emblématique de cette lutte devenue laboratoire d’utopie.
L’Après M
Menu: apresm.org
Adresse : 214 Chem. de Sainte-Marthe, 13014 Marseille
Téléphone : 06 20 99 11 38