Le roman d’Atticus Lish Parmi Les Loups et les bandits se déroule pour l’essentiel à Flushing dans le Queens, un des cinq borough de New York. Un quartier interlope où se mêlent des immigrés de plusieurs générations et de tout horizon. Et où alternent espaces cossus et zones désaffectées dignes de lendemains d’émeutes… Grand Prix de littérature américaine 2016.
Ce premier roman d’Atticus Lish raconte la rencontre improbable de Zou Lei, immigrante illégale fille d’une mère Ouïghour et d’un père Han, avec Brad Skinner, vétéran traumatisé dans son corps et dans sa tête de la guerre en Irak. Zou Lei lutte au quotidien pour survivre dans l’économie souterraine de New York : Skinner, lui souffre d’un syndrome post-traumatique non traité, le genre d’affection qui frappe les victimes de guerre, mais aussi les combattants et qui va d’une simple anxiété à la psychose déstructurante en passant par tous stades du flashback aux hallucinations permanentes. Ce dont nous parle Atticus Lish c’est de leur espoir insensé de survivre ensemble, de trouver un statut légal pour Zou et peut être la paix, la guérison pour Brad en surmontant la violence, la prédation et l’aliénation qui les entourent sans pitié et sans répit : l’immigré peut être un loup pour l’immigré.
Les descriptions des troubles psychiatriques de Skinner, à la fois victime et bourreau de guerre, sont un élément clé du roman au même titre que la volonté indéfectible de Zou pour s’en sortir. D’autres personnages participent à l’histoire, la logeuse de Skinner, obèse morbide et tabagique et surtout son fils Jimmy, sorti de 10 ans de taule, modèle du fou pathologique et pas encore serial killer, que peut produire le régime carcéral américain et ses gangs ultraviolents. C’est la dérive de ces personnages dans l’Amérique pré-trumpienne que décrit Lish dans un style qui lui est propre tout en rappelant par sa dynamique la Grosse galette et de 42e parallèle de John Dos Passos, auteur que Lish apprécie au même titre que Faulkner ou Flaubert.
Diplômé de Harvard, où il fit deux séjours, y étudiant le mandarin tout en terminant une thèse de mathématiques sur le théorème d’Ascoli, Atticus Lish a plusieurs atouts pour devenir écrivain : son père Gordon Lish est un éditeur littéraire réputé et ami par ailleurs du célèbre auteur Don de Lillo. Quant à l’inspiration pour son premier roman, il a l’a puisée d’une part dans une expérience de 18 mois dans le corps de l’US Marine où il fut confronté aux troubles psychopathologiques des vétérans, et d’autre part dans des petits boulots qu’il fit en Californie, lui apportant sa perception fine du monde de l’immigration laborieuse. Atticus Lish a même passé avec son épouse coréenne l’année 2005 en Chine, enseignant l’anglais et y visitant l’ouest lointain du pays, contré du peuple Ouïghour, ethnie turcophone à majorité musulmane, proche des Ouzbeks, en proie au même titre que d’autres minorités à une politique forcée d’assimilation par l’ethnie dominante des Han et son bras armé, le Parti communiste chinois. L’auteur connaît manifestement bien les lieux décrits. L’écriture du roman a pris cinq ans ce qui explique sa longueur peut-être excessive d’une centaine de pages, mais les cinquante dernières sont haletantes.
Les juges qui lui ont attribué le Prix PEN / Faulkner de 2015 ont célébré ce livre pour son mélange de détails documentaires et d’« incantation », affirmant qu’il « balaye et illumine l’Amérique vaste et traumatisée qui vit, travaille et aime en dehors des portes du château ». Il a également remporté le prix Plimpton. Le moins qu’on puisse dire est que ces récompenses sont amplement méritées.
Parmi les loups et les bandits est le premier roman d’Atticus Lish, publié aux Éditions Buchet-Chastel en août 2016. 560 pages, 24 €. Traduit par Céline Leroy
Titre original : Preparation for the Next Life