Le Centre d’art GwinZegal consacre l’été 2025 à une grande rétrospective de la photographe néerlandaise Bertien van Manen (1935–2024), figure discrète mais majeure du documentaire intime. Intitulée Les échos de l’ordinaire, cette exposition révèle pour la première fois en France l’ampleur d’une œuvre guidée par la douceur du regard et l’insistance à vivre auprès de celles et ceux qu’elle photographie.
À contre-courant du spectaculaire, des mises en scène ou du récit historique officiel, vBertien van Manen s’est attachée à rendre visible ce qui, en général, échappe : les moments quotidiens, les gestes familiers, les visages anonymes. Mais ne nous y trompons pas, loin d’un esthétisme du banal, c’est une chronique sensible et engagée de la condition humaine qui se dévoile. Une photographie de l’intérieur, littéralement — chambres, cuisines, salons, lits — mais aussi de l’intérieur des âmes, captées dans leur vulnérabilité comme dans leur force.
Née dans une famille ouvrière du Limbourg néerlandais, Bertien van Manen commence sa carrière dans la mode, avant de basculer du côté du reportage. Mais c’est la lecture fondatrice de Les Américains de Robert Frank qui lui révèle sa voie, une photographie libre, errante, amicale, qui s’autorise à ne rien prouver mais à tout éprouver. Dès lors, elle s’écarte du travail de commande pour entamer un parcours documentaire exigeant, à l’écoute des communautés marginalisées ou invisibilisées.
L’exposition présentée à Guingamp réunit quatre grands ensembles issus de ses voyages aux Pays-Bas, aux États-Unis, en ex-URSS et en Chine. Des femmes migrantes enfermées dans des appartements d’Amsterdam dans les années 1970 aux familles de mineurs dans les Appalaches, des foyers soviétiques de l’après-communisme aux intérieurs feutrés de la Chine post-maoïste, van Manen n’entre jamais par effraction : elle est reçue, invitée, acceptée. Son appareil photo, souvent modeste, capte une chaleur, une confiance, une durée — celle de la relation.
Dans sa première série marquante, I Am the Only Woman There (1979), elle documente la vie de femmes immigrées venues de Turquie, du Maroc, de Grèce ou de Yougoslavie, alors ignorées par la société néerlandaise comme par les mouvements féministes. Son travail déclenche une prise de conscience et participe à rompre l’isolement de ces femmes. Loin de toute posture militante, c’est par l’attention, l’écoute et la fidélité que Bertien van Manen mène sa photographie comme une forme de justice douce.
Cette fidélité, on la retrouve dans la série Moonshine, née de son immersion auprès des familles minières du Kentucky. Pendant près de trente ans, elle reviendra dans les Appalaches, habitant une caravane à côté de ses amis Mavis et Junior. Elle photographiera leurs enfants, leurs voisins, les drames comme les joies. Pas d’effets, pas de pathos, mais une profondeur documentaire rare qui fait de ce travail un chef-d’œuvre de tendresse et de vérité.









À partir des années 1990, Bertien van Manen se tourne vers l’Est : Ukraine, Russie, Géorgie, Kazakhstan, Moldavie… Son livre Let’s Sit Down Before We Go (2011) synthétise ces années de voyages à travers les espaces domestiques post-soviétiques. Ce sont des images feutrées, parfois mélancoliques, où le sofa, la nappe à fleurs, les murs à tapisserie deviennent les témoins d’une époque révolue. Il y a là du Tchekhov et du Tarkovski, mais vus à hauteur d’humanité, dans la lumière douce d’un matin de cuisine.
La Chine, enfin, fut pour Bertien van Manen une autre énigme, plus complexe à apprivoiser. Pourtant, dans East Wind, West Wind, van Manen parvient à faire émerger les émotions dans une société où l’individu a été longtemps fondu dans le collectif. Étudiants, ouvriers, couples, danseurs ou passants : tous se dévoilent dans une ambiance suspendue, entre réserve culturelle et éclats d’intimité. Une photographie tout en subtilité, qui réaffirme ce que son œuvre tout entière défend : un art de la relation, fondé sur la confiance, l’amour du réel, et la patience du regard.
« Je dois aimer les personnes que je photographie. Je dois ressentir une attirance, une fascination. »
Bertien van Manen
Les échos de l’ordinaire n’est pas une simple exposition rétrospective de Bertien van Manen. C’est une invitation à ralentir, à prêter attention aux autres, à reconnaître la beauté discrète de vies que l’histoire oublie souvent. À l’heure des images saturées, manipulées, brandies, à l’heure du drame humain de Gaza, le travail de van Manen nous apprend une autre leçon de photographie qui est celle de l’éthique de la présence, du regard qui soigne, du temps partagé.
Informations pratiques
Vernissage : Jeudi 26 juin 2025 à 18h30
Dates : du 27 juin au 12 octobre 2025
Lieu : Centre d’art GwinZegal, 4 rue Auguste-Pavie, 22200 Guingamp
Horaires d’ouverture : Du mercredi au dimanche de 14h à 18h30
Pendant l’été (27 juin – 31 août) : tous les jours de 14h à 18h30, y compris le 15 août
Entrée libre
