Depuis le 24 janvier, l’activité cinématographique en Chine est à l’arrêt. Pour les producteurs locaux qui tablaient sur une année faste avec le pari de faire passer le pays devant les États-Unis en termes de recettes avant la fin 2020, l’épidémie du Coronavirus a des effets désastreux sur le plan économique : des salles vides, des sorties de films reportées et aucune date à ce jour n’a été communiquée en faveur d’une hypothétique relance du secteur en question.
Si on réalise en outre que cette période coïncide avec la fin des congés du Nouvel An chinois et représente jusqu’à un tiers des entrées annuelles, beaucoup déjà s’inquiètent des dispositions récemment prises par certains studios chinois, à l’instar de Huanxi Media qui s’est associé il y a deux semaines avec un géant du net pour proposer ses derniers films, ce qui équivaut à détruire à petit feu l’industrie traditionnelle du cinéma.
En analysant les nouvelles habitudes des consommateurs, on remarque que l’épidémie du coronavirus réveille un « appétit » croissant pour le thème de la maladie. Sorti il y a quasiment dix ans, Contagion de Soderbergh est le film qui a le plus été téléchargé sur iTunes sur la 1ère quinzaine de février. Arrivé de Macao, le virus présente d’étranges similitudes avec le Covid19 (dans le film, la transmission à l’homme se fait aussi d’abord par des animaux) et finit par tuer plus de vingt millions de personnes dans le monde le premier mois.
La chaine Netflix bénéficie quant à elle d’un étrange alignement des planètes avec le succès de sa nouvelle série Pandémie sortie en janvier, qui contribue à alimenter la psychose collective autour du phénomène. Avant l’apparition d’autres virus mortels du type Sras en 2003 ou Ebola dix ans plus tard, de nombreux films avaient surfé sur le thème.
Quelques exemples choisis : la fièvre jaune dans Je n’ai pas tué Lincoln de John Ford en 36, la tuberculose dans La Lutte héroique de Steinhoff en 39, le typhus dans Les Orgueilleux de Yves Allégret en 53, l’épidémie qui transforme les hommes en vampires dans Je suis une légende de Salkow en 64, tiré du roman de Matheson, qui inspirera aussi Le Survivant avec Charlton Heston dans le rôle principal, la peste dans Le Septième Sceau de Bergman en 56, le choléra dans Mort à Venise de Visconti en 71, et puis vint en 1995 Twelve Monkeys, soit L’Armée des 12 singes de Terry Gilliam, dont la mise en scène oscillant entre passé présent et futur confère une angoisse évidente autour du thème de l’épidémie. Librement inspiré de La Jetée (prix Jean-Vigo 63) du Français Chris Marker, de son vrai nom Christian Bouche-Villeneuve, le film américain — à ne pas confondre avec la série en 47 épisodes sur Syfy — conserve l’idée que l’humanité ne peut être sauvée que par son futur et le spectateur, transporté dans un voyage dans le temps, n’en saisira que plus clairement le sens à la fois littéral et allégorique jusque dans les ultimes secondes avant le générique de fin. Gravitant autour du duo Bruce Willis/Brad Pitt (que devaient composer au départ Nick Nolte et Jeff Bridges), le film bien aidé par un scénario enrichi par les auteurs de Blade Runner, ainsi que par une photographie maîtrisée grâce au procédé des lentilles de Fresnel déjà expérimenté dans Brazil, pose le questionnement de l’influence du futur sur le passé à partir d’une société secrète ayant comme projet de décimer toute la planète. Certes le film a des lourdeurs passagères dans les interprétations (Willis en éternel sauveur du monde et Brad Pitt à qui « on aurait dû retirer son petit manuel du Jack Nicholson secoué » d’après Gérard Lefort dans Libération à l’époque), mais l’œuvre de Gillian a le mérite d’avoir réussi à créer une intrigue efficace sur le thème de l’épidémie, en concluant assez adroitement que ce qui va arriver dans notre vie à tous n’est peut être qu’un douloureux destin en marche. Aucune allusion directe avec la récente démission de l’ensemble de la rédaction des Cahiers du Cinéma.