Dominique Resch, C’est qui Catherine Deneuve… au pays de Pagnol ?

Marseille, on en parle beaucoup dans les médias… et pas vraiment en bien. Et les quartiers nord de Marseille, c’est encore pire. Ceux qui ne sont pas du coin imaginent des gangs violents à chaque coin de rue, des enfants gangsters, des rixes sanglantes au couteau, des morts par balles, des trafics en tous genres… Pas vraiment faux, mais…

Mais il y a aussi des collégiens ou des lycéens qui tentent tant bien que mal d’apprendre quelque chose pour assurer leur avenir au sein de la société. Ou de ne rien apprendre, c’est selon. Et il y a surtout des profs, mais pas des profs comme ceux qu’ont nos enfants, non, une race bien plus rare, et bien plus coriace également. La race de ceux qui ont choisi d’enseigner dans des établissements « chauds ».

Dominique Resch est de ceux-là. Un fou, me direz-vous ? Un utopiste ? Ou juste un prof qui croit encore en la force de la passion et de la patience pour enseigner : transférer son savoir aux têtes de jeunes qui ne demandent pas grand-chose, sinon qu’on leur fiche la paix et, en général, se fichent de connaître les poètes français ou l’histoire de leur pays… Et pourtant… Et pourtant ça marche !

Avec un humour mordant et une bonne dose d’autodérision, l’auteur décrit sa vie professionnelle, ses élèves, les cours de français ou d’histoire qu’il tente tant bien que mal de donner et, selon toute apparence, plutôt bien que mal. Le lecteur l’accompagne du premier jour de cours  – la première leçon avec le test de la poubelle qu’il est indispensable de réussir haut la main si l’enseignant veut assoir son autorité pour l’année – jusqu’à la fin de l’année, sans chronologie apparente. Nous nous amusons avec le vocabulaire de ces jeunes, leur façon de parler et d’agir, leurs codes qui sont comme une langue étrangère au néophyte, leurs émotions aussi. Et parfois leurs peurs.

C’est qui Catherine Deneuve est passionnant et drôle. Et le lecteur s’attache à ces jeunes, dont on sent qu’il leur faudrait parfois juste une étincelle pour les sortir de leur spirale de banlieue et de violence, de pauvreté et de désillusions. Et bien sûr, on ressort admiratif devant ce prof courageux et passionné par son métier, son devoir de transfert, mais tout à fait conscient des limites de son enseignement. Une lecture enrichissante autant qu’une lecture de plaisir. Elle permettra au lecteur de jeter un œil différent sur ces quartiers difficiles dont on parle tant. Mais aussi de commencer son apprentissage du parler marseillais et de l’argot local, avec ses verbes à la conjugaison tout à fait aléatoire, dont il est impossible de connaître le sens et la bonne utilisation sans initiation préalable…

Alix Bayart

Dominique Resch, C’est qui Catherine Deneuve ?, récit, 183 pages, Autrement, août 2012, 15€

 Extrait :

 Une des spécificités de cette langue du Grand Nord, c’est l’existence de certains verbes curieux qui ont la particularité de ne pas connaître de conjugaison. Prenons l’exemple de rayave. Rayave signifie « manger ». À l’infinitif, c’est donc le verbe rayave. Jusqu’ici, tout va bien. Mais tout se complique (ou se simplifie, disons) dès le présent de l’indicatif : Je rayave, Tu rayave, Il (elle, on) rayave, Nous rayave, Vous rayave, Ils (elles) rayave.

Cette singularité de la langue marseillaise nordique ne s’arrête pas là, puisqu’on obtient au passé composé, au futur et à l’imparfait : Hier, je rayave, Demain, tu rayave. L’année dernière, il rayave à la cantine tous les jours, mais plus cette année.

Il en va de même pour tous les temps. Qu’il pleuve sur la Castellane ou qu’il vente au Plan d’Aou, le verbe rayave est donc une sorte de verbe parfait – et pratique – qui ne connaît aucune modification d’aucune sorte. Invariable jusqu’au bout des ongles. Il y a trois jours, je rayave comme un fou tellement j’avais faim. C’est une sorte de verbe d’état permanent.

On notera, pour être complet, que le verbe manger est devenu, entre-temps, pronominal et qu’il possède, pour sa part, une signification tout à fait différente de sons sens original : on se mange la route, lorsqu’on tombe en scooter. On se mange le trottoir. Il s’est mangé l’arbre en pleine vitesse.

Le sens premier de ce verbe commence donc à disparaître. L’évolution de la langue est une chose passionnante. Et si le Larousse suit bien, dans 50 ans, on devrait obtenir ceci :

Manger, v. pr., du latin manducare. 1. Se fracasser sur le bitume. Se mettre la tête au carré. S’ouvrir le crâne. 2. Fam. Absorber, avaler un aliment. 

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