Un arbre qui parle ? Non, ce n’est pas un conte fantastique ou une scène sortie d’un Seigneur des Anneaux version écologiste. C’est bel et bien une installation technologique expérimentale développée au Trinity College de Dublin. Au cœur du campus, un majestueux marronnier d’Inde de 200 ans s’est vu doté d’une voix. Et pas n’importe laquelle : celle que lui confère l’intelligence artificielle, couplée à un réseau de capteurs environnementaux. Le but ? Rendre audible – au sens propre – le message de la nature à l’ère de la crise climatique.
Une IA pour porter les émotions de la nature
Baptisé « Talking Tree », ce projet allie science des données, design interactif et engagement environnemental. Des capteurs mesurent en temps réel l’humidité du sol, la température, la qualité de l’air ou encore le niveau de lumière. L’ensemble de ces données est ensuite interprété par une IA entraînée pour générer des messages à la première personne, exprimés via un haut-parleur dissimulé à la base du tronc. Ainsi, l’arbre peut déclarer : « Aujourd’hui, mes feuilles sont en stress à cause de la pollution », ou encore : « La chaleur m’épuise, et mes racines manquent d’eau ». L’objectif est de créer une forme d’empathie sensorielle et émotionnelle entre les passants et l’arbre, notamment chez les plus jeunes.
Une pédagogie immersive pour une prise de conscience
La force du dispositif repose sur cette personnification volontairement théâtrale de l’arbre, qui ne vise pas à faire croire qu’il pense, mais à traduire ses états physiologiques en langage humain. Les scientifiques et créateurs à l’origine du projet soulignent que l’arbre ne parle pas lui-même, mais qu’il est parlé par ses propres données. C’est une médiation écologique. Le Talking Tree est aussi connecté à une interface web qui permet d’en consulter les historiques d’humeur et de stress, et de découvrir l’impact de certains comportements urbains sur sa santé (chauffage excessif, feux de circulation proches, nombre de passants, etc.).
Une opération de communication environnementale innovante
Ce projet a immédiatement captivé l’attention des médias irlandais et internationaux. Sur les réseaux sociaux, les vidéos du marronnier s’adressant aux passants en temps réel sont devenues virales. La voix synthétique, posée, parfois mélancolique, s’exprime avec des inflexions proches de celles d’un vieil homme sage. L’équipe a travaillé avec des linguistes pour que les phrases prononcées soient à la fois simples, poétiques et pédagogiques. L’objectif assumé est de sensibiliser la population – en particulier les jeunes – à l’urgence écologique par un canal émotionnel plus direct que les traditionnels rapports scientifiques. « On est plus touché par un être vivant que par un graphique », rappelle l’un des coordinateurs du projet.
Vers une démocratisation de la parole végétale ?
Cette expérience s’inscrit dans une tendance plus large : celle d’une réinvention des formes de communication entre humains et non-humains, au croisement de l’éthique environnementale, de l’art numérique et de la technologie. D’autres projets similaires émergent en Europe et en Amérique du Nord, visant à donner une “voix” aux océans, aux rivières ou aux forêts. Mais certains critiques y voient un risque de “Disneyfication” de l’écologie, une illusion de dialogue masquant des responsabilités politiques lourdes. « Faire parler les arbres, c’est bien, mais les protéger juridiquement, c’est mieux », lance ainsi un chercheur en droit de l’environnement.
Le Talking Tree de Dublin ne sauvera pas à lui seul la planète, mais il interroge notre capacité à écouter autrement. En rendant sensibles et immédiats les effets du changement climatique sur un être vivant centenaire, il déplace la question écologique du champ du savoir vers celui de la relation. Alors, la prochaine fois que vous passez devant un arbre, tendez l’oreille. Il ne parle peut-être pas encore, mais il souffre, ou respire – et cela suffit à l’écouter.