On dit des bons photographes qu’ils ont « l’œil ». Marc Pataut rappelle que la photographie est d’abord une affaire de relations : une écoute, des corps, des situations, du temps partagé.
Plutôt que de « projets », il parle de tentatives – parce qu’elles se risquent, s’éprouvent et s’écrivent avec d’autres. Avec celles et ceux qu’on dit « précaires » mais que l’on invisibilise surtout ; avec des alliés du champ social, de l’éducation populaire, de l’art, et de la militance.
L’exposition En plus de l’œil propose au Centre d’art GwinZegal une rétrospective de poche traversant près d’un tiers des entreprises menées par Pataut depuis quarante ans. On y mesure l’ampleur d’un travail qui a déplacé les lignes de la photographie collaborative et de l’intervention dans l’espace public, en alternant petites formes et gestes monumentaux. Tentatives photographiques, gestes collectifs et mémoire des luttes.
Album rouge : une matrice de travail
Parmi les « petites formes », un album rassemble les planches-contacts réalisées en 1981-1982 par des enfants psychotiques de l’hôpital de jour d’Aubervilliers. Album rouge (1989) – que l’artiste montre depuis des années à l’atelier – condense expériences, rythmes, trouées de lumière, énigmes de portrait. Un film conçu pour l’exposition offre une lecture croisée de cet objet souvent relégué par les institutions, et révèle combien ce premier geste irrigue l’œuvre : intérêt pour les images faites par d’autres, présence du corps du photographe, importance du paysage, longue attention aux visages.

À grande échelle : de l’affichage public à la mémoire active de la lutte
Dans Apartheid (1989), sérigraphies co-signées avec le graphiste Gérard Paris-Clavel, des images occupent les panneaux publicitaires du Blanc-Mesnil alors que le régime sud-africain n’est pas encore aboli. Plus tard, avec Ne Pas Plier et l’APEIS (1994), des portraits grand format de manifestants sont brandis en cortège ; leur image sera portée dans une manifestation suivante, puis photographiée à nouveau : une poupée russe photographique qui documente et renforce la lutte.

Trois terrains de précarité : Emmaüs, Cornillon, La Rue
Au début des années 1990, Pataut multiplie les approches : portraits à la chambre chez Emmaüs Scherwiller (1993-1994), documentaire de proximité sur le terrain du Cornillon promis au Stade de France (1994-1995) – où l’historien de l’art Jean-François Chevrier parlera d’intimité territoriale –, et travail mené avec des vendeurs du journal La Rue(1996), à qui il confie des appareils jetables. Parmi eux, Antonios Loupassis, architecte grec vivant dans une ambulance, livre depuis le sol un regard à la fois réaliste et halluciné sur Paris : un renversement de point de vue qui bouscule notre imaginaire de l’une des villes les plus photographiées au monde.

Millevaches, aujourd’hui
Invité par Peuple et Culture Corrèze, Pataut poursuit depuis 2020 à Peyrelevade une recherche sur le portrait dans quatre institutions (école primaire, EHPAD, centre d’accueil de demandeurs d’asile, maison d’accueil spécialisée). Son protocole à la chambre y est mis en crise par des modèles qui ne tiennent pas en place, donnant naissance à des portraits d’une mobilité étonnante – écho lointain des images d’Aubervilliers.

Pensée par Anaïs Masson et Maxence Rifflet en coproduction avec Le Bleu du ciel (Lyon), l’exposition fait apparaître une œuvre où l’éthique du regard va de pair avec la plasticité des formes : de l’album intime à la banderole manifeste, de la planche-contact à l’enseigne urbaine, de la chambre photographique à la parole partagée.

Repères pratiques
Lieu
Centre d’art GwinZegal — 4, rue Auguste-Pavie, 22200 Guingamp
Vernissage
Jeudi 23 octobre 2025 à 18 h 30, en présence de Marc Pataut
Rencontre – “De l’hôpital de jour d’Aubervilliers à Peyrelevade”
Samedi 6 décembre 2025 à 18 h, avec Marc Pataut et quelques compagnons de route, en présence d’Anaïs Masson et Maxence Rifflet
Gratuit sur réservation : info@gwinzegal.com — 02 96 44 27 78
Dates d’exposition
Du 24 octobre 2025 au 1er février 2026
Horaires
Du mercredi au dimanche, 14 h – 18 h 30
Fermé du 24 décembre au 1er janvier et les jours fériés
Tarifs
Entrée gratuite (exposition et vernissage)
Rencontre du 6/12 : gratuite sur réservation
Crédits visuels
© Marc Pataut : Yannick Vennot, Scherwiller, Alsace (Projet Emmaüs, 1993) ;
© Marc Pataut : Planche-contact des photographies de Fabrice (puis de Pierre), Aubervilliers, 1er décembre 1981 (Projet Hôpital de jour, 1981-1982).
