Film Black Dog de Hu Guan : voyage existentiel et réparateur dans le désert de Gobi

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Derrière une intrigue en apparence simple, Black Dog, le dernier film du réalisateur chinois Hu Guan, se déploie comme une méditation sur l’existence, la solitude, la rédemption et l’inhumanité du pouvoir de contrôle de la Chine communiste. Tourné dans les paysages austères du désert de Gobi, ce drame contemplatif s’inscrit dans une tradition cinématographique où l’image prime sur le dialogue en offrant ainsi une expérience sensorielle immersive.

Le film Black Dog suit Lang (Eddie Peng), un ancien détenu tentant de retrouver un sens à sa vie dans un monde qui semble l’avoir oublié. Son chemin croise celui d’un chien errant, soupçonné d’être porteur de la rage. Plutôt que de l’abandonner à une mort certaine, Lang décide de s’occuper de l’animal, amorçant ainsi une relation qui se construit dans le silence et l’instinct plutôt que dans les mots.

Le récit d’errance de Lang et de son compagnon canin évoque les road movies existentiels de Wim Wenders ou les contemplations solitaires d’un Michelangelo Antonioni, voire d’un Tarkovsky. Hu Guan opte pour un réalisme poétique où chaque image semble capturer un instant d’éternité entre les rafales de vent qui soulèvent le sable et les ruines post-industrielles du désert.

D’un point de vue formel, Black Dog impressionne par son esthétique minimaliste et son usage magistral du cadre. La photographie, signée par Wang Yu, fait du paysage un personnage à part entière, témoignant de la désintégration d’un monde rongé par le temps et l’abandon. Les tons ocres et gris dominent, soulignant l’aridité d’un décor où la vie ne semble tenir qu’à un fil.

Hu Guan, qui nous avait déjà habitué à une mise en scène rigoureuse avec The Eight Hundred (2020), adopte ici un rythme plus contemplatif, défiant les attentes du spectateur habituel du cinéma dramatique chinois. Son usage de longs plans-séquences et de compositions soignées renforce l’impression de solitude, voire d’abandon, qui traverse tout le film. En outre, le parallèle du réalisme poétique, c’est une rébellion poétique.

Au-delà de son minimalisme narratif, Black Dog propose une réflexion subtile sur l’exclusion et la difficulté de retrouver sa place dans une société qui rejette les égarés. Lang, avec son passé criminel, et le chien, perçu comme une menace, deviennent les métaphoriques « parias » d’un système qui ne leur laisse que peu d’options. En effet, bien que non-dite (impossible en Chine de le dire sauf à croupir ensuite en prison), Black Dog sous-entend une critique subtile de l’Etat dictatorial de la Chine communiste. Quatre versants se conjuguent pour la laisser poindre discrètement mais puissamment :

L’exclusion et la marginalisation : Le protagoniste Lang, ancien détenu, est un paria rejeté par la société. Son errance dans un paysage désertique symbolise l’isolement de ceux qui ne rentrent pas dans les normes imposées par l’État ou qui ont été broyés par un système intransigeant. Cette thématique résonne avec le sort de nombreux exclus en Chine contemporaine, notamment les travailleurs migrants, les dissidents politiques ou encore les laissés-pour-compte des réformes économiques.

Un paysage en ruine, entre abandon et déshumanisation : Le désert de Gobi, avec ses ruines industrielles et son atmosphère post-apocalyptique, constitue une métaphore de l’impact dévastateur du développement économique à outrance. La désertification, l’épuisement des ressources et la transformation radicale des paysages en raison des politiques industrielles font écho à la destruction environnementale imputée aux choix du gouvernement chinois.

Une critique de l’autorité et du contrôle : Le chien, perçu comme un danger (puisqu’il est soupçonné d’avoir la rage), incarne l’idée d’une menace arbitraire que la société cherche à éradiquer sans discernement. Cette vision se rapproche des politiques répressives du gouvernement chinois à l’égard de certaines communautés ou groupes perçus comme indésirables. L’idée d’un « nettoyage » sans appel rappelle certaines mesures radicales de contrôle social.

Un parallèle avec le cinéma de Jia Zhangke : En insistant sur l’exclusion sociale et la difficulté de réintégration, Black Dog évoque les œuvres de Jia Zhangke, qui critique souvent, de manière subtile mais acérée, les effets de la modernisation et du capitalisme d’État en Chine. Bien que Hu Guan adopte une approche plus épurée et universelle, son choix de personnages marginaux et de paysages désolés s’inscrit dans une tradition de critique du progrès déshumanisant.

Quant à la qualité de sa mise en scène de Black Dog, elle tient dans une poignante sobriété et le refus des conventions narratives classiques qui préfère l’élégance de l’allusion à la facilitation de l’explication. Quant au minimalisme des émotions manifestées, c’est là que réside toute la puissance du film : l’émotion ne naît pas de dialogues superflus, mais de la simple confrontation entre un homme et un chien, deux êtres esseulés qui, sans le savoir, se réparent mutuellement Un film d’une rare beauté qui mérite le (petit) effort de s’y abandonner pleinement.

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