Retrouvez au cinéma à partir du 15 avril 2015 Still Life Une belle fin réalisé par Uberto Pasolini. Cet homonyme de Pier Paolo, mais vrai neveu de Luchino Visconti, est un ex-banquier d’investissement qui est devenu producteur indépendant et fondateur de Redwave Films depuis 1994. En tant que producteur, son premier succès est le film The Full Monty, sorti en 1997 ; l’un des plus grands succès du box-office anglais avec plus de 250 millions de dollars de recettes. Il s’était fait remarquer ensuite en 2008 avec l’amusant Sri Lanka National Handball Team dans lequel une pseudo-équipe de handball cingalaise se rend en Allemagne pour une vraie compétition avant de disparaître, après quelques matches, pour profiter d’une nouvelle vie en Europe. Produit en 2013, Still life – qui pourrait se traduire en français Une belle fin, Vie immobile ou Encore de la vie – était présenté en VO et en présence de son réalisateur le 1er avril à Rennes avant sa sortie officielle nationale.
Comme l’expliquait non sans humour Uberto Pasolini, Still life parle de la « vie sans mouvement » (du moins en apparence…). Il ne faut donc pas attendre de son film ni rebondissements époustouflants ni brillants mouvements de caméra et, encore moins, du sexe. L’histoire est on ne peut moins complexe : Modeste fonctionnaire dans une banlieue de Londres, John May est un être maniaque, passionné par son travail, quasi obsessionnel ; quand un quidam décède sans famille connue, c’est à lui de retrouver les proches du nouveau mort.
Connaissez-vous quelqu’un d’autre qui pourrait venir à son enterrement ?
Je cherche des gens qui l’ont connu…
Malgré des recherches parfois fructueuses, John May se retrouve souvent seul aux funérailles. Son travail méticuleux s’accompagne d’un souci du détail : jusqu’au choix du lieu d’enfouissement des cendres ou du choix de la musique cérémonielle. Il se préoccupe de rédiger méticuleusement l’éloge du disparu à partir de quelques éléments, photos, lettres, factures, colifichets glanés dans l’appartement du défunt. D’ailleurs, il collectionne les photos dans un album de famille – une famille recomposée, fantasmée, à l’essentielle vacuité…
De fait, John May vit dans les mêmes banlieues middle class et briquetées que ses “clients”. Sa vie n’est que la répétition rassurante d’un même cérémoniel, d’un même spectacle diraient certains… Mais voilà qu’un jour atterrit sur son bureau le dossier qui va bouleverser sa petite vie : celui de Billy Stoke, son propre voisin mort d’un alcoolisme autodestructeur. Dans l’appartement miteux, il glane quelques disques, un album photo dont la dernière image est celle d’une gamine de 10 ans, trace peut-être d’un bonheur interrompu. John May regarde par la fenêtre et observe en face son propre appartement, sa propre vie, lui-même comme dans un miroir tendu.
Qui plus est, sa manière de travailler – lente et méticuleuse, donc, peu rentable – n’est pas compatible avec la productivité harassée que le monde moderne demande à un salarié. Son supérieur – archétype du cadre supérieur condescendant, réducteur de coût et de tête par la même occasion – lui annonce son licenciement. Toutefois, John May a la permission avant de terminer sa recherche en cours : la vie du défunt et voisin Billy Stoke. Dès lors, le film Still life s’accélère. Tout comme la vie de John May. Une fuite en avant de paysages, de nouvelles rencontres, d’autres sensations… Il s’extériorise, découvre le goût du whisky avec des pochards, regarde les femmes, apprend à sourire et à transgresser. John May apprend à vivre.
La qualité de l’interprétation du comédien principal se révèle donc essentielle dans Une belle fin. Pari gagné pour Eddie Marsan, l’acteur à tête de lutin ou de hobbit (comme on veut). Avec déjà un beau palmarès de films, le jeu d’Eddie Marsan n’est pas sans rappeler Sam Lowry, le fonctionnaire sans histoire de Brazil qui travaillait au sein du kafkaïen ministère de l’Information avant d’en devenir la victime.
Une Belle Fin est aussi l’histoire de quelqu’un qui n’adhère pas au sérieux de la réalité ; il prend/perd trop de temps à rêver. Il y a un peu de Charlot chez John May, notamment quand il urine sur la belle voiture à calandre de son stupide supérieur. Les personnages que croise May ont une petite touche de Ken Loach avec la même gouaille So British. Certains plans évoquent et invoquent les tableaux d’Edward Hopper aux âmes esseulées et mélancoliques. Mélancolique comme la remarquable musique du film.
Cette conjugaison d’un scénario, d’un film, de la vie de John May, du sens de son action envers tous ces défunts isolés renvoie le spectateur à sa relation à ses propres proches qui ont disparu. Et voilà que les autres ne sont pas qu’un enfer sartrien, mais aussi la part majeure du sens de la vie… John May devient révolutionnaire de sa propre vie et, au-delà, il est un révolutionnaire des temps modernes – modeste grain de sable qui perturbe le spectacle de l’ennui. Nulle mélancolie dans Une belle fin, d’avantage un inattendu chemin d’espérance.