La folie Labubu : Quand le syndrome de Peter Pan devient un argument commercial

labubu

30€ à la sortie d’usine, 300€ sur des sites de revente… Les figurines Labubu, petites peluches portées en porte-clés, sont la dernière tendance en vogue qui a ces derniers temps envahi les réseaux-sociaux. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les premiers acheteurs ne sont pas les enfants, mais des adultes pour qui grandir ne dépend pas de son âge. 

Des dents triangulaires pour un sourire quelque peu effrayant, une fourrure douce, un petit nez rouge et des yeux enfantins malicieux : depuis plusieurs semaines, la toile est envahie de la dernière coqueluche luxueuse des réseaux-sociaux : Les Labubu. Ces lapins mignonnement terrifiants pendouillent généralement à aux sacs à main comme un trophée. Ils sont le précieux de plus en plus d’adeptes et symbolisent l’entrée dans le cercle ultra fermé des personnes qui ont réussi à les avoir. Oui oui, nous n’exagérons et allons vous le prouver.

Ces petites figurines sont créées en 2015 par Kasing Lung, créateur hongkongais, d’abord dans une série d’albums illustrés nommée The Monsters. Ce n’est qu’en 2019 que le géant chinois de jouet magasin Pop Mart, qui a flairé un bon filon, se lance dans la création une figurine de ces personnages étranges. Principal distributeur, Popmart appâte la clientèle avec une stratégie marketing bien ficelée qui a déjà porté ses fruits : comme les fameuses pochettes surprises en forme de cône quand vous étiez enfants, ces mignonneries se vendent dans des boîtes mystères, à l’unité. Vous souvenez-vous de l’excitation à l’ouverture de votre paquet ? Le magasin appuie exactement sur ce point sensible chez les acheteurs, pressés de découvrir ce que cache leur petite boite à trésors. En découle le second argument de vente : compléter les collections. Car oui, il fallait bien trouver un objectif ! Sauf que sur une collection de 8 jouets, certains ne se trouvent que dans une boîte sur 140. C’était un pari gagné d’avance lorsqu’on sait qu’en 2021, 39% des Français détiennent une collection quelle qu’elle soit. Ce jeu de mystère et de hasard fait monter la tension et la popularité de l’objet : Ces figurines font bondir le chiffre d’affaires de la franchise de peluches The Monster de 726% en un an.

La pièce manquante pour que le concept prenne de l’ampleur jusqu’à devenir une véritable folie ? Les influenceurs et célébrités bien sûr. Si des stars Dua Lipa, Rihana, Central Cee ou encore Léna Mahfouf font partie de cette communauté devenue ultra sélect’, c’est l’ancienne chanteuse de k-pop Lisa qui a lancé la machine en novembre 2024. Dans une interview avec Vanity Fair, la rappeuse fait de cette fièvre acheteuse une tendance : elle explique acheter « le set complet pour éviter la moindre déception ». La vidéo montre la Thaïlandaise ouvrir plusieurs boîtes de figurines et les émotions que cela lui procure. Plus léger certes qu’un live sur la politique, mais plus intéressant ?

Depuis, les Labubu font littéralement craquer la planète et leur popularité ne cesse de croître : des lives de plusieurs heures sur Twitch se concentrent sur l’ouverture de ces boîtes et accumulent des milliers de vues. Les ruptures de stock s’enchaînent et durent plusieurs semaines, des gens sont prêts à se battre, à camper devant les magasins pour se les procurer et certains se font arracher le précieux grigri de leurs sacs dans la rue… Pas le porte-monnaie ou le téléphone, mais bien la petite peluche colorée. Obtenir son lapin aux dents pointues est devenu précieux. Moïra, 20 ans, a longtemps cherché un Labubu particulier, mais faisait face à des boutiques en sur-demande : « J’ai fini par acquérir une autre collection que celle que je voulais, dit-il. J’étais tout de même comme un enfant le jour de l’achat ». L’ampleur du mouvement est telle que les ventes ont dû être suspendues quelque temps en France et au Royaume-Uni. La Chine aussi a interdit la vente aux moins de 8 ans et demande une autorisation parentale pour tout acheteur de moins de 16 ans. 

La labubu mania
la labubu mania

La tendance des kidultes 

Depuis, le monde du business et la course à la rentabilité oblige : on multiplie les interviews, les collections spéciales et les produits dérivés. D’ici peu, c’est la marque de vêtements Uniqlo qui sortira sa ligne de T-shirts à l’effigie des mini-monstres. Contre toute attente dans la commercialisation d’un jouet, la cible a plus de 18 ans, voire plus de 25 ans. Le phénomène attire en partie une catégorie précise : les kidultes.

Ce terme apparaît dans les années 1950 pour désigner les spectateurs de dessin-animé adultes. Aujourd’hui, il désigne les grands enfants nostalgiques d’une période où l’enfance rime avec collections absurdes d’autocollants et magazines, les amoureux d’un esthétisme enfantin et coloré. Une partie des 25-35 ans expriment une nostalgie de leur jeunesse et la digitalisation croissante de la génération future des générations actuelles et futures. Le syndrome de Peter Pan, synonyme de l’angoisse du passage de l’adolescence à l’âge adulte, est fréquente dans cette génération. La cible est toute trouvée pour des commerçants qui jouent intelligemment sur cette corde sensible. Le client possède la spontanéité et les désirs d’un enfant, à cela s’ajoute un pouvoir d’achat que les plus jeunes n’ont pas. Pour le Times Entertainment, Saurav Sinha, banquier, témoigne : « la plupart de mes collections ont commencé lorsque j’ai gagné de l’argent ». Entre l’addiction, le hasard et l’effet de rareté et de mode, les limites peuvent être difficiles à placer pour ces personnes.

Mais si cette tendance innocente fait vivre une économie perverse, faut-il pour autant diaboliser cette joie que procure ces achats ? Chaque ouverture de boîte fait sécréter de la dopamine, nourrissant l’enfant qui est en nous. Goûter aux habitudes de temps plus simples et les revivre ne serait-ce qu’une minute justifie, pour une majorité, l’achat de ces figurines.