Après le succès du playback We can be heroes et l’intriguant The Playground, la troupe du Groupenfonction confirme sa fidélité aux Tombées de la Nuit. Cette édition 2014 verra une performance participative singulière et « hors les murs ». Le groupe a relevé le défi de la décentralisation du festival. Jusqu’à Laillé qui accueillera le second week-end du festival décalées du 11 au 13 juillet 2014. Avant-goût des festivités : Arnaud Pirault, âme motrice du Groupenfonction, décrypte cette étrange déambulation périurbaine. Une créature à mille corps qu’il a créée. Pride.
Unidivers – Le Groupenfonction est un « presque » voisin : il est ancré à Tours. Or, c’est la troisième fois que vous allez vous investir dans une création avec Les Tombées de la Nuit. Quels sont les liens qui vous unissent ?
Arnaud Pirault – Nous nous sommes rencontrés autour du projet We Can Be Heroes, en 2009. Ce fut une rencontre essentielle pour notre travail parce qu’elle s’est produite autour d’un partage d’émotions aussi puissantes qu’inattendues et des désirs en commun. C’est à partir de ces désirs que nous nous projetons à chaque fois ensemble dans un nouveau projet. On peut dire aisément que les Tombées de la Nuit et le Groupenfonction travaillent en collaboration ; et ce, dès les balbutiements de l’idée d’un projet.
U. – Précisément, comment est né ce nouveau spectacle dénommé Pride ?
A. P. – L’idée de Pride a jailli lors de la première représentation de The Playground, aux Tombées de la Nuit du mois de juillet 2012. Dans The Playground, il y a une séquence dans laquelle les interprètes se mettent à danser ensemble jusqu’à épuisement, mais dans une addition des solitudes. Ils semblent être seuls ensemble, mais pourtant terriblement à l’écoute de leur environnement, de ce qui leur est commun. Pendant la représentation à Rennes – et c’est arrivé aussi plus tard, lors d’une représentation en 2013 – quelques spectateurs se sont mis à danser avec eux. J’ai eu envie d’extraire cette séquence pour la travailler, la décortiquer, la retirer de son contexte, de sa musique, tenter de l’analyser, et lui donner une valeur fédératrice plus importante. Je m’apercevais que ce matériau théâtral presque silencieux (sans musique, seuls les souffles sont audibles) rendait compte d’une forme de persistance, voire même de résistance. Cette persistance qui donne à voir l’irréductibilité de l’être en présence.
U : Pourquoi ce titre Pride ? Quel rapport tracez-vous entre « fierté » ou « orgueil » et la déambulation d’un « tas, d’une créature à mille corps » ?
A.P. – Je ne traduis pas Pride par « orgueil », mais plutôt par « fierté » et plus précisément « estime de soi ». À l’instar de We Can Be Heroes, nous travaillons sur un processus d’individuation collective. Nous tentons de constituer des groupes qui défient les masses, des groupes dans lesquels chacun est absolument visible pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il produit, représente, consomme, etc. Aussi est-ce un parcours dans la ville. Une parade lente, silencieuse et pour autant spectaculaire. Avec une potentielle force de propagation du désir. Avec ce titre Pride, nous évoquons les marches des fiertés communautaires, sans en désigner n’y en inventer aucune. Nous voulons que Pride puisse être la marche des fiertés de chacun, avec pour seule revendication : « je suis quelqu’un, et nous sommes plusieurs ».
U. – Pride va se dérouler à Laillé, commune de la grande périphérie de Rennes. Le « périurbain », la « rurbanité », les rapports de ce nouveau développement des territoires et son rapport aux corps, c’est ce que vous souhaitez interroger ?
A.P. – Tout ce qui a trait au passage, à la frontière, aux lisières, aux glissements – géographiques et temporels – a toujours constitué pour moi une source inépuisable d’inspiration. Depuis The Playground, nous explorons les bords des villes, les délaissés urbains, les zones dites périurbaines, le tiers paysage. Nous en découvrons les usages. Il y a beaucoup d’enjeux dans ces zones – politiques, esthétiques, culturels. À Laillé, il s’agit de zones dites « pavillonnaires » ; est intéressant de constater qu’il y a peu d’espaces communs. C’est sur ce délaissé invisible que nous voulons agir avec Pride. Les zones pavillonnaires sont souvent injustement méprisées parce qu’elles apparaissent comme des successions de maisons familiales identiques qui correspondraient à un modèle de vie lisse et consensuel. Et pourtant, dans ces maisons qui se ressemblent toutes, certains se disent « je suis quelqu’un, et nous sommes plusieurs ».