Hag-Seed est le dernier roman de l’écrivaine canadienne Margaret Atwood. Non encore traduit en français, il met en scène la pièce The Tempest dans un décor inhabituel : une prison où les détenus endossent les différents rôles de la pièce de William Shakespeare…
Cette pièce de théâtre qui est vraisemblablement l’une des dernières écrites par le dramaturge de la ville de Stratford-upon-Avon a inspiré de nombreux films ainsi que la remarquable série TV Lost. En effet, l’intrigue de la pièce – construite sur les thèmes récurrents de l’œuvre de William Shakespeare : trahison et vengeance – se déroule sur une île où des naufragés seront malmenés suite à une tempête provoquée par Ariel, esprit positif, qui avec Caliban, entité maléfique, habitent le lieu. J. J. Abrams, à travers les personnages de Jacob et de Samuel, s’est effectivement bien inspiré de cette histoire pour l’écriture de son scénario.
Margaret Atwood donne à l’œuvre du 17e siècle une étonnante dimension moderne. Tout débute par l’éviction de Félix Phillips, acteur et professeur de théâtre, de son poste de directeur du festival de Makeshiweg (ville imaginaire du Canada). Congédié pour des motifs mensongers et par la convoitise d’un collègue de travail, Félix se retrouve accablé de désolation d’autant plus qu’il a auparavant perdu sa femme et sa fille. Il passera une décennie vivant reclus dans une cabane ressassant cette terrible trahison jusqu’au jour où il tombera sur une offre d’emploi proposant un poste d’animateur d’atelier de théâtre dans un centre pénitencier. Félix Phillips, que son ancien entourage croit mort, se présente sous le nom de Monsieur Duke lors de l’entretien, et obtient le poste sans difficulté. Le professeur de théâtre initiera alors de jeunes détenus à cette discipline artistique en leur faisant interpréter la pièce en question : La Tempête… oui, mais avec une houle de tous les diables !
Margaret Atwood, dans ce roman de 300 pages en format poche, transforme les vers shakespeariens en slam urbain. Les rôles des différents protagonistes de la pièce sont interprétés par de jeunes délinquants incarcérés pour des faits condamnables, mais non odieux, et la plupart d’entre eux adhèrent avec enthousiasme au contexte de la pièce. Une histoire de trahison et de vengeance sur fond d’éléments surnaturels, magiques – quoi de mieux comme catharsis ?
Un extrait d’une tirade du personnage de Caliban interprété par Leggs, excellent acteur, mais susceptible, trentenaire, ancien toxicomane, incarcéré pour trafic de stupéfiants et agression : You been callin’ me a monster, but who’s more monstrous than you ? You stole, you cheated, you bribed, you lied, You didn’t care who you kicked aside, You called me dirty, you called me a scum, You called me a criminal, a no-good bum, But you’re a white collar crook… Tu m’as traité de monstre, mais qui est plus monstrueux que toi ? Tu as volé, tu as triché, tu as soudoyé, tu as menti, Tu n’as pas fait attention à celui que tu as mis à l’écart, Tu m’as considéré comme crasseux, tu m’as traité comme une ordure, Tu m’as traité de criminel, de clochard minable, Mais tu n’es qu’une crapule en col blanc…
Félix, qui est au bout du rouleau, dialogue encore avec sa fille décédée il y a une dizaine d’années et la considère comme sa Miranda, enfant de Prospero tous deux principaux personnages de la pièce également victimes de trahison. Le choix de faire interpréter La Tempête aux acteurs novices incarcérés n’est pas innocent : cette œuvre ressemble à ce qu’a vécu Félix lors de son éviction du poste de directeur de théâtre : une mise au ban de la société tout comme ce que subissent les détenus. Félix fait travailler les jeunes délinquants avec qui s’installe un rapport complice. Les comédiens sont également surprenants par la force émotionnelle qui ressort de leurs personnages. Un peu plus tard, le centre de détention prévoit de donner une représentation du spectacle devant des politiciens locaux parmi lesquels figurent les responsables du triste sort de Félix… Hag-Seed, graine de sorcière, une idée germe dans l’esprit de Félix, le spectacle de La Tempête sera ébouriffant et comme dans la pièce initiale, justice sera faite…Margaret Atwood, Penguin Random House, octobre 2016
Margaret Eleanor « Peggy » Atwood est une romancière, poétesse et critique littéraire canadienne née en 1939. Fille de Carl Edmund Atwood, zoologue, et de Maragaret Dorothy Killiam, nutritionniste, elle a passé la majeure partie de son enfance entre les forêts du nord du Québec, Sault Sté. Marie et Toronto. Atwood a commencé à écrire à l’âge de 16 ans. En 1957, elle débute ses études au collège Victoria à l’Université de Toronto. Elle a notamment suivi les cours de Jay Macpherson et Northrop Frye. Elle obtient un baccalauréat ès arts en anglais (avec des mineures en philosophie et en français) en 1961.
Après avoir reçu la médaille E. J. Pratt pour son recueil de poèmes « Double Perséphone » (1961), elle poursuit ses études à Harvard, au Radcliffe College, dans le cadre d’une bourse Woodrow Wilson. Elle est diplômée en 1962 avant de continuer ses études à l’Université Harvard pendant quatre ans. Elle enseigne à University of British Columbia (1965), à Sir George Williams University à Montréal (1967-1968), à University of Alberta (1969-1979), à York University à Toronto (1971-1972), et à l’Université de New York.
Le Prix Arthur C. Clarke lui a été décerné en 1987 pour son roman « La Servante écarlate » (The Handmaid’s Tale, 1985). Le livre a été adapté au cinéma par Volker Schlöndorff en 1990 et a fait l’objet d’une série télévisée en 2017. Elle a remporté le Booker Prize en 2000 pour son roman « Le Tueur aveugle » (The Blind Assassin).
Lors de l’élection fédérale canadienne de 2008, elle a accordé son appui au Bloc québécois, parti prônant la souveraineté du Québec. La même année elle reçoit le Prix Prince des Asturies.