« Il existe un concept chrétien selon lequel on aime d’abord sa famille, puis son voisin, ensuite sa communauté, puis ses concitoyens, et après cela, on accorde la priorité au reste du monde […] Une grande partie de l’extrême gauche a complètement inversé cet ordre. Ils ont l’air de haïr les citoyens de leur propre pays, et de s’occuper davantage de personnes qui viennent de l’étranger » a déclaré J.D. Vance, vice-président des USA. Vraiment ?
Christian concept that you love your family, and then you love your neighbor, and then you love your community, and then you love your fellow citizens in your own country, and then, after that, you can focus and prioritize the rest of the world. […] A lot of the far left has completely inverted that. They seem to hate the citizens of their own country and care more about people outside their own borders. That is no way to run a society.”
Pour rappel, les Évangiles et les Actes des Apôtres mettent en avant une charité qui, bien que souvent ancrée dans un cadre communautaire, tend à transcender les frontières sociales, ethniques, physiques et même de genre. Il est vrai que la charité chrétienne commence par la famille et la communauté immédiate. Saint Paul écrit par exemple : « Si quelqu’un ne prend pas soin des siens, et principalement de ceux de sa famille, il a renié la foi et il est pire qu’un infidèle. » (1 Timothée 5:8). Cet ordre suggère une priorité à la responsabilité proche avant de s’étendre plus largement. Cependant, Jésus lui-même a souvent mis à l’épreuve cette hiérarchie naturelle en appelant à aimer son prochain, même lorsqu’il est un étranger ou un ennemi (parabole du Bon Samaritain, Luc 10:25-37 ; « Aimez vos ennemis », Matthieu 5:44). Les Actes des Apôtres montrent aussi une ouverture des premières communautés chrétiennes aux non-juifs (Actes 10, conversion de Corneille). Ainsi, dans le christianisme, il y a une tension-conjugaison entre un amour ordonné (proche d’abord) et un amour universel qui ne rejette personne.
L’idée que « l’extrême gauche aurait inversé cet ordre » et « haïrait ses propres concitoyens » est un jugement subjectif qui dépend du prisme idéologique de celui qui l’énonce. Il existe toutefois des arguments objectifs favorables à cette affirmation. Certains estiment que la gauche radicale privilégie l’internationalisme et la solidarité mondiale au détriment des classes populaires locales. Plus encore, certains courants de l’extrême gauche délaissent la souffrance des travailleurs nationaux pour défendre en priorité des minorités ou des populations étrangères. En outre, certains discours très critiques sur l’identité nationale, la culture majoritaire ou la mémoire collective, peuvent donner l’impression d’un rejet des citoyens du pays, en particulier ceux issus des classes populaires, des zones rurales et autres territoires préiphériques. Enfin, un certain anti-impérialisme relecteur de l’histoire occidentale conduit parfois à une culpabilisation excessive des nations occidentales ; ce qui peut être perçu comme une forme de mépris envers les citoyens de ces pays.
Cela étant, la plupart des mouvements de gauche mettent en avant des valeurs qui s’ancrent dans l’universalisme chrétien : défense des plus faibles, accueil des étrangers, rejet des frontières injustes. Jésus ne faisait pas de distinction entre ses frères, ses compagnons et « les autres ». De fait, le Christ prône une charité inconditionnelle.
Le christianisme offre une vision équilibrée entre l’amour ordonné (commençant par les proches) et l’amour universel (l’ouverture accueillante de l’étranger). La gauche radicale, quant à elle, tend à insister davantage sur l’universalisme et la solidarité mondiale, parfois au détriment d’une approche nationale qui est perçue comme faisant le jeu du capitalisme libéral financiarisé et mondialisé. L’affirmation selon laquelle « l’extrême gauche aurait inversé l’ordre naturel de la charité chrétienne » est donc une interprétation polémique qui dépend du regard politique adopté. D’un côté, on peut reconnaître le rejet des références nationales dans la plupart des courants de la gauche extrême (à l’exception, bien sûr, des déclinaisons national-socialiste et national-bolchévique), mais de l’autre, leur insistance sur la défense des plus vulnérables, quelle que soit leur origine, peut aussi être vue comme une extension logique du message chrétien d’amour universel.
En ce qui concerne la déclaration de James David Vance, qui est né le 2 août 1984 à Middletown, son parcours doit être examiné pour mieux la comprendre. James David Vance est né le 2 août 1984 à Middletown. Avocat, écrivain, homme politique, il est actuellement vice-président des États-Unis depuis le 20 janvier 2025, sous la présidence de Donald Trump. Issu d’une famille modeste des Appalaches, Vance a servi dans le Corps des Marines des États-Unis avant d’obtenir un diplôme en droit de l’Université Yale. Il s’est fait connaître en 2016 avec son autobiographie « Hillbilly Elegy« , paru en France eux éditions du Globe, qui décrit les défis de la classe ouvrière blanche américaine. Bien qu’il ait initialement critiqué Donald Trump lors de l’élection présidentielle de 2016, Vance est devenu un allié clé de Trump, obtenant son soutien pour sa campagne réussie au Sénat en 2022. En juillet 2024, Trump l’a choisi comme colistier pour l’élection présidentielle de 2024, qu’ils ont remportée. Vance est considéré comme un conservateur nationaliste, opposé à l’avortement et au mariage homosexuel, et critique de l’aide militaire américaine à l’Ukraine. Il a également reconnu l’influence de la théologie catholique romaine sur ses positions sociopolitiques.
Le profil psychologique et politique de J.D. Vance éclaire la manière dont il conçoit la hiérarchie des solidarités et sa critique de la gauche. J.D. Vance a grandi dans une famille ouvrière des Appalaches, une région marquée par des difficultés économiques et une forte culture de solidarité locale. Dans Hillbilly Elegy, il décrit un attachement profond aux structures familiales et communautaires, essentielles pour surmonter la pauvreté et l’instabilité sociale. Cette expérience façonne son idéologie selon laquelle la priorité doit être donnée à la famille et aux proches avant toute extension de la charité à des étrangers. La phrase qu’il formule sur l’ordre de l’amour chrétien reflète cette vision enracinée dans un conservatisme social : il considère que la solidarité doit suivre un ordre progressif, en partant des cercles de proximité (famille, voisinage, nation) avant de s’étendre au reste du monde.
Initialement critique envers Donald Trump en 2016, Vance a évolué vers un nationalisme conservateur proche de la droite populiste américaine. Son ascension politique repose en partie sur une rhétorique opposée à ce qu’il perçoit, comme tant de partis populistes et une parti grandissante des peuples occidentaux, comme une élite sociiallste progressiste déconnectée du peuple à qui elle impose une pensée unique. Dans ce cadre, il critique la pensée de gauche qu’il accuse de promouvoir une solidarité sans frontières au détriment des citoyens américains. Sa déclaration s’inscrit donc dans une critique plus large des politiques migratoires et des priorités sociales des progressistes. Pour Vance, les politiques de gauche favorisent un « altruisme global » qui néglige les classes populaires américaines ; ce qui alimente son discours sur l’inversion des priorités.
Pour finir, Vance met en avant une interprétation du christianisme qui insiste sur la subsidiarité et l’ordre naturel des solidarités. Son propos s’appuie implicitement sur la doctrine sociale de l’Église catholique romaine, laquelle affirme que l’entraide doit commencer au sein des structures les plus proches avant de s’étendre progressivement. Il s’oppose ainsi à une vision plus universaliste du christianisme, promue notamment par la théologie de l’Eglise orthodoxe. Reste que dans tous les mouvements sociaux, dans ou hors de l’Eglise catholique, orthodoxe ou protestante, la conception universaliste est quasiment toujours défendue par les tendances progressistes. Tendances progressistes qui s’ancrent dans la manière de vivre des premières communautés chrétiennes :
Tous ceux qui croyaient étaient dans le même lieu et n’était qu’un coeur et qu’une âme. Nul ne disait que ses biens lui appartenait en propre, mais tout était commun entre eux. Quand ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, ils en partageaient le produit entre tous, selon les besoins de chacun.… (Actes des Apôtres 4:32)
il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. (Galates 3:28)