Daruma : le porte-bonheur japonais qui vous fixe des objectifs

daruma

À première vue, ce sont de petites poupées rondes et rouges, sans bras ni jambes, souvent dotées d’un seul œil peint. Pourtant, les Daruma, omniprésents dans les temples, les commerces ou les bureaux japonais, ne sont pas de simples objets décoratifs. Ils incarnent une philosophie de vie, une esthétique spirituelle… et un étonnant phénomène de société. Aujourd’hui, ils se réinventent entre artisanat, rituels modernes et design contemporain.

Une légende zen devenue objet culte

La figurine Daruma tire son nom de Bodhidharma, moine indien légendaire du VIe siècle, considéré comme le fondateur du bouddhisme zen au Japon. D’après la légende, il aurait médité face à un mur pendant neuf ans sans bouger, au point d’en perdre l’usage des membres. Le Daruma, sans bras ni jambes, en est une représentation volontairement stylisée. Mais ce qui aurait pu devenir une icône austère s’est transformé en objet de force positive. Le Daruma incarne la persévérance à toute épreuve, et le célèbre proverbe japonais « 七転び八起き (nanakorobi yaoki) » – tomber sept fois, se relever huit – lui est directement associé.

Sa forme sphérique légèrement lestée lui permet de toujours revenir à la verticale lorsqu’il est renversé, comme une incarnation physique de la résilience.

Fabrication : un savoir-faire traditionnel ancré à Takasaki

C’est à Takasaki, dans la préfecture de Gunma, que bat le cœur historique de la production des Daruma. La tradition remonte au XVIIe siècle. Aujourd’hui encore, plus de 80 % des Daruma japonais y sont fabriqués, par des artisans qui perpétuent un savoir-faire transmis de génération en génération.

Tout commence par un moule en bois dans lequel est appliquée une couche de papier mâché (à base de journaux recyclés), selon la technique du hariko. Une fois sec, le corps du Daruma est poncé, recouvert de peinture rouge (symbole de chance et de protection contre les maladies), puis décoré à la main. Le visage est peint en blanc, sans pupilles, et les sourcils stylisés évoquent des grues, tandis que les joues figurent des tortues, deux animaux symboles de longévité au Japon.

Sur le torse, une calligraphie orne la figurine : il s’agit le plus souvent du caractère  « 福 » (fuku, bonheur) ou « 勝 » (katsu, victoire), mais certains artisans proposent désormais des inscriptions personnalisées.

Pourquoi la poupée Daruma n’a-t-elle qu’un œil ?

Les yeux de la poupée Daruma sont laissés vides lors de la vente, afin de permettre à la personne qui la reçoit de garder une trace de ses objectifs ou de ses grandes tâches, et de se motiver à les mener à bien.
Le destinataire remplit un œil au moment de formuler son vœu ou de fixer son objectif, puis l’autre œil une fois celui-ci atteint. De cette manière, chaque fois qu’il voit le Daruma borgne, il se rappelle son engagement. Une explication de cette coutume dit que, pour motiver Daruma-san à exaucer votre souhait, vous lui promettez de lui rendre la vue complète une fois l’objectif accompli.
Cette pratique pourrait aussi être liée à la notion d’« éveil », l’accomplissement spirituel ultime dans le bouddhisme. En faisant référence à l’« ouverture » du second œil, on exprime ainsi la réalisation d’un but.

Rituels modernes : un œil pour l’espoir, l’autre pour la gratitude

L’usage le plus courant consiste à acheter un Daruma en début d’année ou à l’orée d’un projet important. Lorsqu’on se fixe un objectif – examen, rétablissement, lancement d’une entreprise – on peint l’un des deux yeux du Daruma, en formulant mentalement un vœu. Il reste ainsi borgne jusqu’à ce que le but soit atteint. Le jour où l’objectif est rempli, on dessine alors le second œil pour remercier le Daruma de son soutien, dans un geste intime chargé de sens.

À la fin de l’année, il est courant de rapporter son Daruma dans le temple où il a été acheté pour le faire brûler lors d’une cérémonie appelée Daruma kuyō, un rite de purification et de renouveau.

Dans les écoles japonaises, les élèves collent souvent des Daruma en papier sur leur bureau pendant la période des examens. Certaines universités prestigieuses vendent même des Daruma personnalisés avec leur logo.

daruma poupée

Un objet pop et design : quand le Daruma rencontre l’esthétique contemporaine

Depuis une dizaine d’années, le Daruma connaît une renaissance inattendue. Sorti de son contexte religieux ou folklorique, il devient un objet de design, de mode et de collection.

Les jeunes générations japonaises redécouvrent l’objet avec une approche plus visuelle et personnelle. Des marques branchées comme BEAMSTokyo Design Studio ou Graniph le déclinent dans des palettes pastel, métalliques, ou fluo. D’autres, comme Good Design Company, revisitent ses traits pour en faire un symbole minimaliste de motivation. Les Daruma Girls, petites figurines féminisées et kawaii, séduisent quant à elles un public jeune et féminin.

Dans les galeries d’art, des créateurs contemporains réinterprètent la forme du Daruma à travers des sculptures géantes, des installations textiles, ou des créations en céramique ultra-design. Le studio japonais nendo en a même créé une version translucide en verre soufflé.

À l’international, l’objet suscite l’intérêt : en France, on en trouve dans les concept stores, les librairies japonaises ou sur les comptes Instagram de passionnés de culture nipponne.

daruma doll

Une fonction psychologique dans une société en quête de repères

Pourquoi cet engouement aujourd’hui ? Parce que le Daruma répond à un besoin contemporain très profond : le besoin de ritualiser l’engagement personnel dans un monde souvent flou, rapide, et incertain. Dessiner un œil, s’accrocher à une promesse, visualiser le succès à travers un petit objet qui vous regarde depuis une étagère… tout cela fonctionne comme un acte symbolique fort, presque thérapeutique. Le Daruma est un outil de projection mentale.

Dans un Japon traversé par des pressions sociales élevées, où la réussite passe par des parcours exigeants, la figurine offre un espace intime de foi personnelle, sans connotation religieuse pesante. Et dans un monde globalisé, elle devient un porte-bonheur universel, connecté à la fois à une tradition millénaire et aux codes du lifestyle contemporain.

Bibliographie

  • Ashkenazi, M. (2003). Handbook of Japanese Mythology. ABC-CLIO.
  • Moeran, B. (2014). The Magic of the Daruma Doll: The Symbolism of a Japanese Cultural Icon. Journal of Material Culture, 9(3), 347–365.
  • Reider, N. T. (2005). Japanese Demon Lore: Oni from Ancient Times to the Present. Utah State University Press.
  • Numata Center for Buddhist Translation and Research (1999). The Teachings of Buddha. Bukkyo Dendo Kyokai.
  • Takasaki City Tourism Association. (2021). The History and Craft of Daruma Dolls. Retrieved from www.daruma.jp
  • Kawaguchi, Y. (2017). « Cultural Reappropriation of Daruma in Japanese Design Culture. » In Contemporary Japanese Visual Culture, Tokyo University Press.
Eudoxie Trofimenko
Et par le pouvoir d’un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer Liberté. Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! Vive l'Europe démocratique et humaniste !