Unidivers poursuit sa quête littéraire dans l’environnement des prochains Jeux Olympiques de Paris avec une courte biographie romancée d’un des plus grands nageurs américains écrite par Frédéric Rossignol aux éditions Arléa : Johnny, Johnny.
Un des plus grands noms de la natation mondiale. « Jànos Weiszmeuller » ! Cela ne vous dit rien ? Peut-être en l’américanisant alors, puisque le nageur est arrivé à Ellis Island en 1905 de Hongrie. « Johnny Weissmuller », je suis certain que cela vous parle plus. L’un des plus grands nageurs de l’Histoire, devenu encore plus célèbre par l’interprétation de son rôle de Tarzan qu’il incarnera douze fois. « Je suis Tarzan. Tout le monde connaît Tarzan. Mais ma vie sans magie, celle derrière l’écran, qui la connaît vraiment ? ». Ainsi débute le « roman » que consacre Frédéric Rossignol au surdoué de la natation, venu à ce sport en raison du diagnostic de poliomyélite intervenu à l’âge de 10 ans. Une maladie comme une bénédiction pour un jeune garçon qui se sent libre dans l’eau, lui qui a observé des heures durant le ballet de phoques ou de lions de mer au Lincoln Park Zoo de Chicago.
L’auteur consacre finalement peu de temps au champion olympique et à ses records du monde évoquant simplement son style unique, sa force d’entraînement aux limites du supportable, son manager Big Bill qui va lui faire connaitre des préparations au bicarbonate de soude. On reste un peu sur notre faim quant à la carrière sportive de celui qui fut le premier à nager sous la minute au 100 mètres et quintuple champion olympique. C’est la suite qui intéresse plus Frédéric Rossignol, le passage de la piscine aux grands écrans de cinéma, l’incarnation de Tarzan, cette créature née de l’imagination d’Edgar Rice Burroughs. Dans son rôle d’acteur, Johnny devient un homme épanoui, loin d’une possible image de sex-symbol mais proche d’un homme sain et naturel, amoureux des animaux et de la nature que les familles aiment retrouver régulièrement en se rendant dans les salles obscures. Homme lianes, il n’est guère préoccupé par les contingences terrestres. Le sol ne lui convient guère. Il préfère l’eau et le ciel, il aime les animaux et leur langage. Tarzan et Johnny se confondent et s’identifient l’un à l’autre. Johnny est au dessus des intérêts commerciaux du monde cinématographique, des potentats de la MGM : « Je suis Tarzan de façon totale, irrévocable et entière ». Il en oublie les contingences des pensions alimentaires, des mariages, des enfants, la vraie vie se mélange avec celle de Tarzan, qui lui fait peut être oublié son propre père qui a abandonné sa famille. La fin est prévisible. Naïf et ruiné, abandonné et presque oublié, Weissmuller rejoint beaucoup d’autres acteurs, artistes, sportifs, célébrités de tous genres écrasés, fragilisés par la gloire ou victimes de crapules comme Elvis Presley manipulé par son imprésario, le « colonel » Tom Parker.
Frédéric Rossignol ne se met guère dans la tête du nageur, acteur. Il ne cherche pas à nous transmettre les états d’âme possible de Johnny. Avec des phrases courtes, des chapitres brefs, même en utilisant le « je », il dit surtout des faits, des évènements, une chronologie qui finalement laisse au lecteur la possibilité de se faire lui même une image et un portrait de Weissmuller. Comme une silhouette glissant dans l’eau après le départ d’une course, on distingue à travers les battements d’une vie, un homme sans peur, sans préjugés, profitant de la vie et de ses excès à outrance, fait pour l’American Way of Life. C’est le temps qui en alourdissant le corps de Johnny va l’ensevelir. Pour être champion olympique, pour être Tarzan dans la jungle, il faut des muscles, un sourire carnassier, une agilité infinie. Quand les abdominaux se relâchent il doit quitter les podiums, il doit abandonner sous la contrainte, le projecteur des plateaux de cinéma. Le plongeon n’est pas loin. Il suffit de se pencher au dessus du plot de départ pour discerner le reflet de l’arrivée. Johnny Weismuller a plongé une dernière fois. À Acapulco, cela ne s’invente pas. Avant de rentrer dans l’eau, on aimerait qu’il ait poussé un cri que tous les animaux de la jungle auraient entendu. Le cri de Tarzan qui résonne encore aujourd’hui dans les cours de récréation.
Johnny, Johnny de Frédéric Rossignol. Éditions Arléa. Collection 1er Mille. 208 pages. Parution : mars 2024. 18€.