À l’image d’Harper Lee, Delia Owens, septuagénaire, écrivaine et zoologiste américaine, frappe fort avec son premier roman, Là où chantent les écrevisses, livre le plus vendu aux États-Unis en 2019. Comment ne pas tomber sous le charme de cette nature sauvage d’un marais de Caroline du Nord et de sa plus fervente habitante, « la fille des marais » avec laquelle nous allons grandir.
Kya n’a que six ans quand elle voit partir sa mère chaussée de ses escarpins et vêtue de ses plus beaux habits, quittant leur cabane misérable au coeur du marais sans même se retourner pour lui faire un signe. Quelque temps plus tard, ce sera le tour de ses frères et soeurs, fuyant la misère et la violence d’un père ivre d’alcool et de jeu. Bien vite, le marais sera la seule famille de cette sauvageonne, prompte à échapper à la police et aux services sociaux, fuyant l’école où elle ne passera qu’une journée pour vivre au plus près des mouettes et des goélands.
Mais comment survivre quand on n’est qu’une enfant dans un lieu aussi sauvage ? Kya connaît toutes les ressources de la nature. Elle s’en nourrit et s’en apaise. Elle ramasse des moules à l’aube pour les vendre à Jumping et Mabel, contre de l’essence et quelques provisions. Famille noire du bidonville de Colored Town, ils savent comment les habitants de la ville ségrégationniste de Barkley Cove rejettent tous ceux qui sont différents. Pour eux, Kya n’est que la fille des marais, une crasseuse nuisible qu’il faut éviter. Seul Tate, un ami du frère de Kya, s’approche de la jeune fille. Lui aussi connaît les oiseaux du marais. Petit à petit, il s’approche d’elle. Il lui apprend à lire et à écrire, lui apporte des livres de biologie. Mais la vie de Kya n’est fait que d’abandons successifs. « Pendant des années j’ai eu envie de briser ma solitude. Je croyais vraiment que quelqu’un finirait par rester auprès de moi, qu’un jour j’aurais des amis et même une famille. »
Cette histoire de sauvageonne abandonnée de tous éveille bien évidemment l’attendrissement. Mais le roman de Delia Owens n’est pas qu’une belle histoire un tantinet romanesque. Le récit s’ouvre sur la découverte d’un corps. Celui de Chase Andrews, fils de bonne famille et sportif apprécié de tous. Accident ou meurtre? Qui l’aurait poussé de la tour de guet au pied de laquelle deux gamins ont retrouvé son corps. Aucune empreinte, aucune trace dans la boue. Kya, qui avait eu une aventure avec ce séducteur infidèle, est bien évidemment la première suspecte, bouc émissaire d’une ville qui ne l’a jamais acceptée. L’enquête puis le procès de celle qui est devenue une écrivaine et illustratrice spécialiste du marais rythme considérablement le récit. Autre point commun avec le roman d’Harper Lee, le procès d’une paria contre une ville bien pensante est passionnant.
Impossible de décrocher de ce récit jusqu’à un dénouement final particulièrement bien pensé. Delia Owens propose un roman populaire, addictif dont il est déjà prévu une adaptation cinématographique. Le personnage de Kya, enfant abandonnée puis femme ensorcelante, est particulièrement attachant. La nature l’a instruite, nourrie et protégée. Comment ne pas être envoûté par cette nature exceptionnelle, rare, belle et sauvage ? Sous un envol de milliers d’oies sauvages, dans un battement de coeur collectif, on distingue le héron de nuit, l’épervier de Cooper ou le pygargue à tête blanche. Delia Owens compose un récit naturaliste et profondément humain avec beaucoup de passion et de poésie. Là où chantent les écrevisses est une destination idéale pour vos lectures d’été. Delia Owens est née en 1949 en Géorgie, aux États-Unis. Diplômée en zoologie et biologie, elle part s’installer avec son mari, chercheur et biologiste comme elle, au Botswana en 1974. Après 23 années passées en Afrique, ils vivent désormais en Caroline du Nord, toujours au plus proche de la nature.